Tout va-t-il bien dans le petit monde de l’école ? A la première lecture d’une enquête inédite commandée par l’Administration de l’Enseignement aux universités UCLouvain et ULiège. La réponse est apparemment positive. Pourtant, en grattant un peu, elle doit être sérieusement nuancée.
1. Soutien
C’est une bonne nouvelle, l’immense majorité des élèves sentent que les adultes de l’école (enseignants, éducateurs…) se soucient d’eux, s’intéressent à leur travail, sont disponibles en cas de besoin… C’est certainement vrai en primaire où 90 % des répondants se réjouissent d’être au centre de l’attention des adultes. C’est – un peu – moins vrai en secondaire où ils ne sont plus que trois sur quatre à penser la même chose. Par contre, environ 20 % des petits et 30 % des ados estiment que les mêmes adultes laissent volontiers « les élèves se débrouiller seuls avec leurs difficultés ».
2.Chouchous
Un enfant = un enfant ? Ce n’est vrai, ni en matière de soutien financier de la part des pouvoirs publics, ni – et c’est ce qui nous préoccupe aujourd’hui – en matière de traitement de la part des équipes éducatives. Pointons qu’une majorité des élèves de primaire (70-80 %) estiment que chacun est mis sur un même pied. On ne peut cependant passer sous silence le comportement contraire : un élève sur cinq (ce n’est pas rien) pense que les enseignants donnent d’abord la parole aux bons éléments, se comportent différemment avec les garçons et les filles ou, pire, se moquent de certains d’entre eux. En secondaire, la proportion d’élèves dénonçant cette politique de « chouchous » passe à un élève sur quatre. Plus inquiétant, même si c’est moins fréquent, un élève sur dix estime que les enseignants traitent différemment les jeunes d’origine belge ou étrangère.
3.Toilettes
En mauvais état les écoles ? Sur ce sujet, les élèves sont plutôt lucides, ou résignés. En primaire, l’immense majorité estime que les classes sont confortables, bien entretenues, propres… mais ils ne sont plus qu’un sur deux en secondaire. Même regard tranché sur l’état du matériel ou de la cour de récré : trois élèves sur quatre l’apprécient en primaire mais deux sur trois en secondaire. En revanche, et ce n’est pas une surprise, les toilettes sont pointées par une grande majorité pour leur mauvais état ou une propreté douteuse.
4. Amitiés
Un point positif d’abord : huit élèves sur dix en primaire et sept sur dix en secondaire, se sentent bien à l’école (« je suis content d’être là », « je m’y sens à ma place »). Exercice contraire : entre 20 et 30 % estiment qu’ils sont « juste un numéro » dans leur école et rêvent d’en changer. Les relations avec les pairs sont à l’avenant, c’est-à-dire aisée pour la plupart mais complexes pour une importante minorité. Ainsi, neuf élèves sur dix ont au moins un ami ou une amie sur qui compter. En revanche, 28 % des petits et 23 % des ados trouvent qu’il est difficile de se faire des amis dans l’enceinte de l’école. La question du harcèlement n’a pas été posée en ces termes (il est parfois difficile de faire la distinction entre une dispute et du harcèlement) mais le mal-être est palpable quand les sondés doivent se positionner sur une question proche : 29 % des élèves de secondaire et 43 % (!) de primaire se disent rejetés par certains élèves. Palpable aussi quand est abordé le sentiment de sécurité : aucun souci pour les trois quarts des élèves mais c’est compliqué pour les autres. Ainsi, en primaire, plus d’un sur quatre a peur de certains camarades ou de certains adultes (enseignants, éducateurs…), de quoi se « sentir stressé » à l’idée de venir à l’école. De stress scolaire il en est question aussi pour un élève de secondaire sur quatre.
5. Bien-être
L’enquête mesure le bien-être scolaire à travers quelques indicateurs. En la matière, primaires et secondaires ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. L’immense des premiers (85 % environ) se sent bien par rapport à l’école, aux matières, aux camarades… Sept sur dix se disent joyeux, captivés, optimistes… Mais un sur cinq (tout de même) s’ennuie sur les bancs et/ou assure se sentir anxieux ou stressés. En secondaire, alors que s’affirme l’adolescence, le malaise est palpable. Ils ne sont plus que deux sur trois environ à être satisfaits de leur école et de ce qu’ils y apprennent. Ils sont deux sur dix à se dire en colère, tristes, désespérés, gênés, mal à l’aise… De plus, 30 % seulement sont intéressés par l’école, 38 % optimistes ou confiants… A contrario, ils sont 41 % à se trouver souvent ou très souvent anxieux et stressés tandis que 49 % s’ennuient en classe. On ne s’étonnera pas de lire un peu loin que moins de la moitié des élèves de secondaire aime bien aller à l’école tandis que, grosso modo, l’autre moitié a envie d’arrêter les frais le plus vite possible. D’ailleurs, pour 40 % d’entre eux, s’ils le pouvaient ils ne viendraient tout simplement plus à l’école.
Relationnel
Le chiffre est suffisamment éloquent – et à contre-courant de certains discours ambiants – que pour ne pas le souligner : plus de 90 % des membres du personnel (professeurs mais aussi éducateurs et administratifs) jugent cordiales leurs relations avec leur direction. Et environ 80 % assurent se sentir à l’aise pour échanger avec elle. Dans la même veine, ils peuvent vraiment compter sur son soutien en cas de difficulté. A contrario, 41 % estiment que certains collègues bénéficient de privilèges par rapport à d’autres (« bonnes » classes, bons horaires…).
L’enquête analyse aussi le relationnel avec les parents : en primaire comme en secondaire les profs constatent qu’il est compliqué d’impliquer les parents dans les activités de l’école. Ils notent également, surtout en primaire, le dialogue constructif avec eux. Ils estiment par exemple (à 91 % en primaire et 82 % en secondaire) que l’école porte une attention particulière aux familles d’élèves en difficulté.
Seuls 36 % des élèves réussissent les quatre épreuves CE1D
7. Discipline
Les enseignants se sentent-ils respectés par leurs élèves ? A en croire la partie de l’enquête qui porte sur l’indiscipline en classe, on serait presque dans un monde idéal… ou idéalisé. En primaire, 85 % des instituteurs ou institutrices relèvent que leurs enfants se mettent tout de suite au travail. Le bruit et l’agitation sont pointés par 26 % des enseignants alors qu’un sur dix pense que les élèves n’écoutent pas ou ne peuvent pas se concentrer. A ce sujet, la vision des élèves n’est pas la même. « Ils rapportent une fréquence de problèmes d’indiscipline nettement plus élevée que les enseignants. Ainsi, 57 % des inscrits du fondamental rapportent qu’il y a du bruit et de l’agitation à la plupart ou à chaque cours, 31 % disent que les camarades n’écoutent pas et 29 % qu’ils ne peuvent pas se concentrer. » En secondaire, 38 % des enseignants estiment que les élèves se mettent directement au travail mais 21 % pointent des problèmes de bruit et d’agitation. Pour ce dernier constat, les élèves sont presque deux fois plus nombreux à le relever. Toujours en secondaire, un tiers des profs regrette la fréquence des intimidations et insultes entre élèves.
8. Travail collaboratif
Le travail collaboratif est une des pierres angulaires du Pacte pour un enseignement d’excellence. Or, il reste du boulot : ils ne sont que 45 % des professeurs environ à appliquer des critères communs d’évaluation ou à participer à des réunions d’équipe portant sur des questions pédagogiques ou des méthodes d’enseignement. En revanche, c’est presque un sans-faute autoproclamé sur le fait de tout mettre en œuvre pour assurer le bien-être et la réussite de tous (de 90 à 98 %). De plus, 90 % considèrent que leur équipe éducative règle les conflits de façon constructive et prévient efficacement le harcèlement moral.
Enseignement supérieur : le harcèlement toucherait une personne sur trois
9. Profs fatigués
Pointons une affirmation rassurante : près de neuf enseignants sur dix estiment que, dans l’ensemble, leur travail leur donne satisfaction et procure de l’enthousiasme. Ils pensent même, pour les deux tiers, que les avantages de leur job compensent les inconvénients. En revanche, dans les salles de classe, 21 % se demandent s’il n’aurait pas été préférable de choisir un autre métier alors que 14 % (un sur sept) regrettent leur choix professionnel.
Par contre, et ceci contraste avec le niveau général de satisfaction, près de trois membres des équipes éducatives sur dix déclarent se sentir au moins une fois par semaine émotionnellement vidés. Ils sont aussi 25 % à affirmer qu’au moins une fois par semaine, voire plus souvent, ils se sentent fatigués lorsqu’ils se lèvent le matin et qu’ils doivent faire face à une autre journée de travail. De plus, 14 % (un sur sept) se disent au bout du rouleau.
10. Parents satisfaits
Quelle cote donnent les parents à l’école de leur enfant ? Un très honorable 77 sur 100. A propos du traitement réservé à leur enfant, sur la clarté des règles ou la qualité de l’infrastructure, on est même dans les 80 %. Quelques bémols toutefois : la qualité de la communication se réduit au fur et à mesure de la scolarité (très bonne en maternelle, bonne en primaire, moyenne en secondaire). De plus, deux parents sur dix estiment que leur progéniture est régulièrement victime de violence ou est embêtée par ses camarades. Par ailleurs, trois sur dix se disent inquiets pour la sécurité de leur enfant tandis que quatre sur dix pointent le manque de clarté sur ce qu’on attend d’eux. Ils sont un peu moins à considérer que les petits ont trop de devoirs et un peu plus à faire remarquer que leur enfant serait incapable de les faire ces devoirs.
Le Pacte d’excellence, stop ou encore ? « Il n’y a plus le choix, le bateau est lancé »