Alors que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avance « à la hussarde » sur diverses mesures en matière d’enseignement, l’Ares, les réseaux et les syndicats marquent déjà leurs désaccords. Les acteurs regrettent des économies annoncées qui touchent tant l’enseignement obligatoire que supérieur.
ne semaine. C’est a priori le temps qu’auront eu les syndicats, les réseaux d’enseignement, les associations de parents et l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (l’Ares) pour prendre connaissance et se prononcer sur l’avant-projet de décret portant diverses dispositions relatives à l’enseignement. Des dispositions qui visent surtout à limiter les dépenses. Alors que le texte est passé en première lecture du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles la semaine dernière, un gouvernement en distanciel est prévu ce jeudi. Dans l’urgence, un conseil d’administration extraordinaire se tenait ce mardi à l’Ares. Le Soir apprend que l’organisation, qui rassemble toutes les universités, les hautes écoles et les écoles supérieures des arts, a rendu un avis global défavorable (15 voix défavorables, 7 avis réservés et aucune voix favorable) au gouvernement.
Concernant l’enseignement supérieur, l’avant-projet de décret prévoit, entre autres, de raboter la dotation de l’Ares de 21 %, de limiter le montant dédié à l’organisation du concours en médecine (et dont la majeure partie sert à la location de Brussels Expo afin d’accueillir 5.000 étudiants), de réduire les allocations destinées à l’inscription des étudiants de condition modeste à hauteur de 6,5 millions d’euros et d’augmenter le minerval des étudiants étrangers (hors UE uniquement). Ce qu’il retire d’un côté aux établissements, le gouvernement espère le récupérer ailleurs.
L’Ares pourrait n’avoir « d’autre choix que de procéder à des licenciements de membres de son personnel », peut-on lire dans l’avis. Certains établissements craignent que la réduction de la dotation de l’Ares se reporte sur leurs propres finances. Beaucoup ont regretté « l’absence de débat de fond » et que « les négociations budgétaires aient lieu avant de revoir les missions de l’organisation ». Enfin, pour les étudiants étrangers, le Cref (le Conseil des rectrices et recteurs francophones) s’inquiète de l’accroissement de la précarité compte tenu de leur statut socio-économique fragile.
Du capital périodes en moins
En parallèle, le gouvernement MR-Engagés a mené des consultations avec les différents acteurs de l’école : réseaux d’enseignement, syndicats et associations de parents. Plusieurs pierres d’achoppement sont à signaler, en particulier sur l’avenir du qualifiant. Le texte mis sur la table par le gouvernement entend diminuer de 3 % la norme d’encadrement dans ce secteur (norme qui est plus favorable que dans le général) afin de réduire la multiplication « des petites options », et ce « dans un souci de bonne gouvernance ». « Cette réduction de la voilure va impacter énormément d’écoles », déplore Roberto Galluccio, ancien administrateur délégué du Cpeons (l’enseignement des communes et provinces), désormais conseiller pour ce réseau. « Il existe, par exemple, une septième année d’horlogerie à Namur qui ne compte que dix élèves et qui devrait donc être supprimée alors qu’il s’agit de la seule école à le proposer. C’est un savoir-faire qui va disparaître. »
Par ailleurs, l’accès à une septième année technique ou professionnelle sera limité aux élèves qui ne détiennent pas un certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS) ou à certaines options bien spécifiques. Il est aussi question de refuser l’inscription en 3e et 4e secondaires d’élèves majeurs qui auraient décroché de l’enseignement obligatoire pendant une année. « Le gouvernement parle d’environ 1.000 élèves concernés chaque année par ces deux mesures », indique Alexandre Lodez, nouveau secrétaire général du Segec (le Secrétariat de l’enseignement catholique). « Ce sont autant d’élèves qui n’interviendront plus dans le calcul du capital périodes et donc des engagements en moins. La position de l’ensemble des réseaux est extrêmement négative. Outre les pertes financières, la 7e année permet à des étudiants d’augmenter leur chance à l’emploi tout en restant dans un établissement qu’ils connaissent. »
La position de l’ensemble des réseaux est extrêmement négative. Outre les pertes financières, la 7e année permet à des étudiants d’augmenter leur chance à l’emploi tout en restant dans un établissement qu’ils connaissent.
Alexandre Lodez, Secrétaire général du Segec
D’ici 2029, avec l’avancée du tronc commun et la réforme de l’enseignement qualifiant, ce dernier s’apprête déjà à être lourdement bousculé. « On sait que le qualifiant va devoir faire le gros de l’effort. On parle de 30 à 40 millions d’euros à terme. C’est difficile, mais on a eu le temps de s’y préparer », poursuit Alexandre Lodez. « Ici, ce sont 13 millions d’euros en moins à une échéance très réduite. Le gouvernement qui s’était engagé à concerter, prendre le temps, avance ici à la hussarde. Ce qui ne correspond pas à la manière dont le travail s’est effectué dans le cadre du Pacte d’excellence. »
L’enseignement public pénalisé
Le gouvernement entend également diminuer la subvention attribuée à l’enseignement officiel WBE (Wallonie-Bruxelles enseignement) au profit de l’enseignement subventionné, libre et officiel, pour « mettre fin à la différence historique de traitement et de financement entre les réseaux ». Lors des rencontres avec le gouvernement, WBE aurait manifesté son désaccord. Plus surprenant, il en va de même pour l’enseignement officiel subventionné (communes et provinces) qui devrait pourtant voir sa dotation augmenter. « L’enseignement officiel est solidement pénalisé à plusieurs niveaux et nous voulons rester solidaires », soutient Roberto Galluccio. Ce qui fait le malheur des uns fait ici le bonheur des autres. « Ce rééquilibre vise à reconnaître qu’un enfant est égal à un enfant », assure le Segec.
Les syndicats, qui seront à nouveau consultés ce mercredi, ont déjà annoncé une journée de grève dans les écoles francophones. La première sous ce nouveau gouvernement. « Les mesures décrites dans l’avant-projet de décret sont antisociales », martèle Roland Lahaye, président de la CSC Enseignement, le syndicat chrétien. « On doit rendre un avis au gouvernement, mais je peux déjà dire qu’il sera défavorable. Le gouvernement n’a que le mot ‘‘économie’‘ à la bouche. » Luc Toussaint, son homologue du syndicat socialiste abonde : « Sur les 69 articles du décret programme, il y en a au moins 60 qui fâchent ». Pour l’heure, le front commun syndical ne prévoit pas de manifestation, mais des opérations de sensibilisation à destination du grand public.
Par Charlotte Hutin (avec E.B) -Le Soir