Pédagogie active ou traditionnelle ? A quelques semaines… de la rentrée, le psychopédagogue Bruno Humbeeck propose une exploration critique des courants pédagogiques. Il explique aussi comment accompagner une génération connectée.

uelles pédagogies pour mon enfant ? Questionnement essentiel à l’heure où les enfants sont biberonnés aux écrans (dit-on), où les ados sont dépendants de l’intelligence artificielle (croit-on), où les adultes sont parfois désarçonnés par un monde où tout va vite (suppose-t-on)… Questionnement essentiel que Bruno Humbeeck, docteur en sciences de l’éducation (UMons), met au menu des familles et des enseignants pour cet été. Quelles pédagogies pour mon enfant ?, c’est en fait le titre de son dernier ouvrage. Il en éclaire les enjeux pour Le Soir.

Vous proposez une analyse critique de toute une série de courants pédagogiques : vous êtes plutôt un adepte de la tradition ou de la pédagogie active ?

L’enjeu majeur de la pédagogie, c’est d’intégrer les différents courants, pas de suivre exclusivement un mouvement donné. Quand on oppose pédagogie active et pédagogie traditionnelle, on se trompe de combat. Il y a des moments où les stratégies traditionnelles de type « montrer », « expliquer » ont du sens. Car ce n’est pas du tout une hérésie de dire à un enfant « Assieds-toi, je vais t’expliquer quelque chose ». Par contre, il y a des moments dans lesquels l’enfant doit être davantage actif dans le rapport à la connaissance. Opposer la pédagogie traditionnelle à la pédagogie active, c’est comme opposer Platon à Aristote, ça n’a pas de sens. Ils avaient les mêmes objectifs, les mêmes visions du savoir, mais ont simplement emprunté des chemins différents.

Vous abordez des auteurs comme Freinet, Montessori, Alvarez et bien d’autres. Au final, avez-vous une préférence pour un mouvement ?

Je préfère puiser dans chaque courant ce qu’il offre de meilleur. Si vous choisissez un maître en pédagogie, vous lui faites une statue… Et si vous lui faites une statue, vous n’allez pas plus loin. En fait, je préfère les courants qui ne s’arrêtent jamais, parce qu’ils sont constamment en train de vérifier comment ils peuvent s’adapter au cours du temps. C’est la raison pour laquelle je préfère tout de même Freinet à Montessori, cette dernière étant dogmatique, et c’est toujours dangereux quand une pédagogie devient dogmatique. Dès qu’on est dans un modèle radical, on prend le risque effectivement de se fermer à tout ce que les autres peuvent apporter.

Votre ouvrage fait aussi le pari d’accompagner une génération désormais ultra-connectée dès la petite enfance. C’est indispensable ?

L’accompagner, c’est l’aider à se déconnecter, mais l’essentiel, c’est de percevoir le problème déjà chez nous, adultes. Si on en fait un souci « de jeunes », ça va être très compliqué. On a nous-mêmes des mécanismes, notamment cérébraux, qui font qu’on va directement aller vers les écrans. Il faut déjouer ces automatismes, les comprendre chez nous pour pouvoir les anticiper chez les plus jeunes.

Ce qui donne en pratique ?

Nous avons tous tendance à scroller de manière automatique et parfois à nous laisser déborder au point de le faire beaucoup plus longtemps que prévu. Et c’est tout simplement parce que des automatismes cérébraux se mettent en place, ces algorithmes qui jouent sur notre volonté de nous (dé)connecter. Pour y échapper, chaque fois que vous allez sur un écran, fixez-vous de manière consciente le temps que vous allez y rester. Et respectez-le. A ce moment-là, vous arriverez effectivement à déjouer ces automatismes cérébraux. Quand on le comprend sur soi, on le comprend chez l’enfant et l’ado aussi.

Le vrai problème lié à l’ultraconnexion, ce n’est pas les écrans en général, c’est cet écran tout particulier qu’on appelle smartphone. Quand il est né, vers 2010, on ne s’en est pas méfié, car on a vu arriver une espèce de couteau suisse qui permettait de prendre des photos, de consulter ses mails, de… Sauf que ce petit appareil a été pris d’assaut par des personnes qui en ont fait un argument de commerce et qui, désormais, capte notre attention en permanence. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, nous éprouvons autant de difficultés à nous émerveiller, à prendre du temps pour nous en dehors des temps de connexion. On doit comprendre ce mécanisme pour pouvoir aider les jeunes à passer en mode « déconnexion », à s’extraire de cette forme d’appétence excessive dont les principaux responsables sont ceux qui ont fait de l’attention humaine un objet de commerce.

On se déconnecte pour quoi faire ?

Pour simplement écouter les autres sans être parasité par un écran ou par un portable, par exemple, pour s’octroyer des temps de déconnexion familiale, pour s’offrir une balade ensemble, un repas sans portable… Et montrer l’exemple : la scène la plus absurde, c’est le parent qui demande à son enfant de se couper des écrans en étant lui-même accaparé par le sien.

Au fait, être connecté, « c’est mal » ?

Ce n’est certainement pas mal. Au contraire, d’ailleurs, il y a par exemple des applications qui invitent à se reconnecter à la nature en cherchant, par exemple, à identifier le chant des oiseaux. Par contre, j’invite toujours à se poser consciemment la question : pourquoi suis-je connecté ?

Dans ce monde en mutation, comment redonner du sens à l’école ?

En travaillant sur les connexions… Par exemple, les connexions au web prescrites par l’école pour des raisons pédagogiques, car il faut pouvoir y intéresser très tôt les enfants, c’est positif. En travaillant aussi sur les déconnexions : les écrans ludiques ou récréatifs doivent y être interdits, parce que ça génère des troubles de l’attention. A l’école, il faut des livres et des écrans, pas des livres ou des écrans. Pour aider le jeune à se déconnecter, il faut paradoxalement qu’il puisse maîtriser ses connexions dans l’environnement scolaire. Enfin, redonner du sens à l’école dans ce contexte, c’est également travailler sur les connexions au vivant, à l’autre, à soi… C’est apprendre à l’enfant à comprendre ce qui se passe chez lui, pour qu’il puisse tisser des liens de confiance en lui, confiance dans les autres, confiance dans les institutions. De quoi développer des enjeux scolaires majeurs comme la conscience écologique profonde ou l’empathie. Ce sont des défis majeurs pour l’école.

Entretien – Chef du pôle Société
Par Eric Burgraff