Dans un contexte de banalisation du radicalisme d’extrême droite, nous avons de plus en plus de mal à transmettre le vivre ensemble, le refus du racisme et de la haine, le respect de l’autre dans nos écoles. Nous appelons à un sursaut, pour que la société et le politique redonnent l’exemple.
Une carte blanche signée par 323 enseignants et travailleurs dans le milieu scolaire (voir la liste des signataires ci-dessous)
Dans la société et à l’école, nous constatons une décomplexion de la parole. Des propos inaudibles hier se partagent aujourd’hui et font mal à nombre de nos jeunes. Si nous constatons autour de nous la résurgence de radicalismes à l’école, les dangers majeurs ne sont pas (ou très peu) religieux, mais d’extrême droite… précisément parce qu’ils se banalisent !
Autour de nous, des filles sont rabaissées à un rôle social dans lequel on les cantonnait il y a un siècle. Il nous est complexe de faire respecter l’identité de personnes qui ne se retrouvent pas dans le genre qu’on leur a assigné à la naissance. Des élèves en difficultés sociales sont stigmatisés et qualifiés d’assistés. Mais surtout, la peur de l’étranger, la stigmatisation des immigrés et les stéréotypes racistes se libèrent, à une vitesse accélérée. Nous le constatons dans nos classes, nous le constatons dans les cours de récré. Et le monde politique, en ne montrant plus l’exemple, en charriant les amalgames, en brouillant les repères, bref, en ne faisant plus de distinction nette et systématique avec l’extrême droite et ses idées, participe à nous désarmer.
Sensibiliser aux dangers de l’extrême droite : une mission qui nous est prescrite
Notre statut d’enseignants – celui que la Ministre Glatigny veut supprimer – nous interdit, dans l’exercice de nos fonctions et en dehors, d’avoir un comportement ou de tenir des propos en contradiction avec les principes essentiels de nos démocraties. Cela signifie que nous devons refuser – et c’est heureux ! – de valoriser la discrimination, les inégalités entre genres, les attaques envers l’État de droit ou les droits fondamentaux, ou de prôner racisme, xénophobie, peur ou haine de l’Autre (1). Un Baromètre du respect a relayé que de nombreux professeurs estiment devoir s’autocensurer. Mais c’est bien ce que la loi nous prescrit, et dans ces cas, pour une bonne raison…
Outre ce qui nous est interdit, notre mission d’enseignants nous engage aussi à transmettre. Travailler le vivre ensemble, éduquer au respect de l’autre et des différences, refuser la xénophobie font en effet partie des tâches fondamentales assignées aux enseignants. Ce n’est pas une conviction personnelle : c’est l’une des quatre missions prioritaires que nous donne le Code de l’enseignement : “préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures” (2). La neutralité (3) dont nous devons du reste faire preuve, qui nous demande entre autres de valoriser la pluralité des points de vue démocratiques, est une neutralité au service de ce modèle démocratique : elle n’empêche pas l’enseignement du cordon sanitaire. Si nous ne sensibilisons pas au refus de l’extrême droite, si nous ne transmettons pas le respect du cordon sanitaire, nous ne remplissons pas notre contrat avec la société.
En temps normal, il n’est déjà pas facile pour l’enseignant de faire sa part dans une société qui reste en proie aux inégalités, aux intolérances, à l’incompréhension face à l’altérité et aux autres cultures. Mais aujourd’hui, la fenêtre d’Overton glisse ; tout bascule à une vitesse effrénée.
Comment remplir nos missions alors que les frontières se brouillent ?
Comment enseigner efficacement au refus de l’extrême droite quand elle se banalise partout ? Après Poutine en Russie, les États-Unis trumpistes font la chasse au “wokisme”, persécutent les personnes trans, interdisent la recherche scientifique en matière de diversité, équité et inclusion, s’attaquent à la solidarité internationale et font de l’Étranger l’ennemi intérieur. En Europe, l’Italie est gouvernée par les héritiers de Mussolini, la Hongrie a basculé, l’extrême droite est en coalition aux Pays-Bas, et en embuscade, elle fait des scores historiques en Allemagne, en France, en Flandre.
Mais notre métier ne se limite pas à rappeler le refus de ce qui, de tout temps, a porté l’étiquette extrême droite. Nous devons aussi éduquer à discerner les propos et pratiques qui font son identité. Et sur ce plan, notre tâche en Belgique francophone est plus difficile que jamais. Pas seulement du fait que médias internationaux comme CNews et réseaux sociaux la banalisent. Mais aussi parce que la frontière entre une certaine droite et l’extrême droite est de plus en plus ténue. En ce compris dans le chef de nos responsables politiques, qui ont pourtant valeur d’exemple pour nos jeunes.
Quand un parti démocratique recrute à l’extrême droite, quand certains responsables partagent des contenus sur leurs réseaux sociaux, quand certaines personnalités associent continuellement migration et criminalité, quand le gouvernement fédéral, le précédent comme celui-ci violent l’État de droit en ce qui concerne la migration, quand certains dénigrent même les droits humains : comment, en tant qu’enseignants, pouvons-nous continuer aisément à enseigner la distinction entre pluralisme des opinions démocratiques et extrême droite ? Le champ lexical de l’extrême droite (grand remplacement, vermine, submersion migratoire, entre autres) est repris par d’autres et se normalise. Il s’immisce dans le vocabulaire de nos élèves et colonise les esprits. Dans ce contexte où les droits humains deviennent pour certains une idéologie à connotation péjorative, que pouvons-nous faire ? Quels critères, quelles marques de distinction reste-t-il à enseigner, si tous sont brouillés ?
Le politique nous rend la tâche qu’il nous a assignée plus difficile que jamais. Face à un monde en basculement, médias, politiques, monde culturel, éducateurs, enseignants : tout le monde doit se ressaisir. Refuser de tolérer l’expression de la haine et de la peur de l’autre. Montrer la richesse de l’altérité et sensibiliser à l’écoute de qui ne nous ressemble pas. C’est notre tâche d’enseignants. Mais c’est aussi celle de toute la société.
Notes et références :
(1) Ces règles ont été intégrées à notre statut d’enseignants par Joëlle Milquet en 2016.
(2) Article 1.4.1-1.
(3) Par ailleurs, ce concept pourrait être discuté : qui peut réellement être totalement “neutre” ?
Liste exhaustive des signataires :
Ariane FRANKIN, Arthur BOLAERS, Adeline TOMA, Alain VAN DEN STEEN, Alex DEFOURNY, Alexandra HOLTZHEIMER, Alice PÉTERS, Aline WIKET, Amandine COLLIN, Amina REZGUI, André DERIDDER, Anne DESSERS, Anne DEVOS, Anne FACHINAT, Anne FRYCIA, Anne JULIEN, Anne-Sophie DANGRE, Anne-Sophie REYNDERS, Annick LAPLANCHE, Anthony CALONE, Aurélie CRASSON, Ayané FANTA, Adrien ROSMAN, Baptiste CUVELIER, Bastien BOLAERS, Béatrice LAHAYE, Belen SANCHEZ, Benedicte BOSTHIJS, Benoit DURIEU, Benoît SEUTIN, Bruno SIRONVAL, Carine SAUCIN, Caroline CUESTA CORDON, Catherine LAMOOT, Catherine POLLET, Catherine STEVENS, Cécile BOVY, Cécile GORRÉ, Cécile SCHLECK, Céline LAUREYS, César DESAINTGHISLAIN, Charlotte COLLARD, Charlotte MIGNON, Charlotte MORO LAVADO, Chirac MBOGNING, Chloé DUPONT, Chloé GOMEZ GISMERO, Christophe FAUCONNIER, Cindy KACZMAREK, Coraline D’OTRICOLI, Cosentino PINO, Débora VAN AUDENHOVE, Déborah MUSETTE, Delphine PIERRET, Denis BLAIRON, Didier TRILLET, Dominique FOUARGE, Dominique HENSGENS, Donatienne MOMMENS, Dorian CARLIER, Eglantina DURGUTI, Élisabeth MAGIS, Elisabeth MELLEN, Élodie BERTHOLOMÉ, Élodie VANHERREWEGGE, Eloïse DELVAUX, Emeline ANELLI, Emilie GOIN, Emmanuelle SPIECE, Eric DIAMANTE, Estelle CUYPERS, Estelle DUCHESNE, Étienne GODELAINE, Evy DEMARCIN, Fabien DEGOLLA, Fabienne ARDUS, Fanny HANSSEN, Fanny VIROUX, Fanny WATELET, Florence CARLIER, François MARION, Gaëlle LOPEZ, Gaëlle NICKELS, Geneviève CIESLAK, Genevieve JANSSEN, Gerda POOT, Gloria MAGNETTE, Guillaume BOSSUROY, Guillaume HAYOT, Guillaume SANDRONT, Hakim OUFKIR, Henri REMOUCHAMPS, Isabelle ROSELLI, Isabelle VANDENBERG, Janine HEINRICHS, Jean-Baptiste BOURGEOIS, Jean-Francois CHARLIER, Jean-Noël DELPLANQUE, Jean-Pierre FRANKIN, Jen ERNST, Jérôme BOUTET, Joachim KINET, Jordi SANTOS, Jorre DEWITTE, Julie ANCIAUX, Julie DEGROS, Julie MOREAU, Julie PEERBOOM, Julie PUMA, Julien MARTINI, Kelly KEUNINGS, Laetitia POPPE, Lara ANDRULLI, Laura PIRET, Laura VAN BRABANT, Laure-Anne MAREE, Lauren LEKEUX, Laurence CORBESIER, Laurence MORAUX, Laurent MERENNE, Laurie JACQUEMAIN, Lemonia PALMANTOURAS, Linda DORIA, Lionel JONKERS, Lucas SEILLER, Maëlle FAES, Mamadou DIALLO, Mandy ROEMANS, Mara BRIMIOULLE, Margaux JOIRET, Marie NIYOYITA, Marie MEURS, Marlène FABRE, Mathieu MASINI, Maud NIZET, Max HAUTECLER, Max NEUMANN, Michaël FABRE, Michel BARILE, Muriel WELLENS, Nadège VAN POELVOORDE, Naïm PARMENTIER, Nathalie FRAIPONT, Nathalie HELLIN, Nicolas BERNARD, Nicolas DENIS, Nicolas DETALLE, Nicolas LECLERCQ, Noémie AQUILINA, Noëmie CRAVATTE, Nolwenn LEONARD, Ouanassi JAOUELLE, Pascal VANDER HOEDEN, Patrick ZEOLI, Pierre MOREAU, Purcelle MAGATH, Quentin CESSION, Rajah MARHFOUR, Raphael RODRIGUEZ, Régine DEMONCEAU, Régine FOURNY, Renaud VANDEPOELE, Renaud VERBIEST, Robin PERPÈTE, Romain SOTTIAUX, Romain SOURDEAU, Sabine MEUNIER, Sabrine MASROUKI, Salomé DE BAETS, Salvatore GIUNTA, Samuel HALEN, Samuel LEPOT, Sarah TOUSSAINT, Sarah VERHOEVEN, Séverine PERMENTIER, Sigrid AMOND, Siham CHEURFI, Sophie AECHTEN, Sophie GARCIA, Sophie THYRION, Stephan BISSOT, Stéphanie MOORS, Stéphanie SEUTIN, Stephanie TUTS, Stéphanie ZAMBUTO, Sylvie JUDONG, Sylvie MORETTIN, Tatiana NIEJADLIK, Thibault MICHIELS, Thierry NOVALET, Valérie VOSS, Vanessa HANEN, Vassilios SOUROUDAKIS, Véronique WIAME, Vincent MERKEN, Vincent MICLOTTE, Vincent RYCKOORT, Violaine RANDOLET, Wendy LORAND, William GUILLET, William WARNIER, Yeraï SCIARRINO, Youssef EL AMMARI, Yvan COUCLET, enseignants du secondaire.
Anaïs DENIS, Antoine BERTON MORTIAUX, Arlette LOYENS, Chloé BOSMAN, Christophe BOUCQUEAU, Corinne CAUFRIEZ, Daphné VAN DER HAEGEN, Eloise MAJOIS, Evelyne PINARD, Fabrice PINNA, Fanny WATTERMAN, Fernand VAN DEN ABBEEL, Florence NICAISE, Geneviève LAP, Helen LAKAMA, Hélène FASTRE, Isabelle BUCHELOT, Isabelle DELCOURT, Isabelle HENGCHEN, Katia CHIKOWSKY, Laureine GUEHOADA, Marie-Eve CRICKBOOM, Marie-Julie LAMBOTTE, Marinette BRUSKIN, Murielle GILBERT, Pascale DELRE, Sandra ILARI, Sébastien DE CONYNCK, Sophie BJ, Sophie CHAPUIS, Valérie LAURENT, Walter PUTMAN, Xavier JADOUL, enseignants du fondamental.
Ait Ahmed LAHCEN, Annabelle HARVENGT, Anne CAMPO, Anne PHILIPPART, Anne VRANCKEN, Anouchka LILOT, Audrey IGNELZI, Aurélie WILLIAM LEVAUX, Clara BEELEN, Daniel D’AMBROSIO, Delphine MICHEL, Denis ROGISTER, Eléonore DUCHÊNE, Émeline MARTIN, Eric LICHTFUS, Françoise BUDO, Françoise OGER, Frédéric PALERMINI, Fulvie JACQUES, Gaëtan ABSIL, Géraldine BRAUSCH, Guy GROSJEAN, Hedwige OLIVIER, Isabelle MONTULET, Jérémy REKIER, Jessica BRAINE, Joffroy HARDY, Julie REYNAERT, Laurence ECHEVIN, Leo VAN DE VOORDE, Lore MARTIN, Magali MAILLEUX, Maria MACARSKAIA, Marie HINDRYCKX, Marie PIRENNE, Marie PIROTTE, Marie-Aline GILLOTEAUX, Marie-Noëlle STASSART, Marie-Noëlle TENAERTS, Martine WILMOTS, Maxence STENIER, Méline VER EECKE, Merlin TIELEMAN, Michael SALIEZ, Michel THIRY, Muriel NEVEN, Myriam SARLET, Pascale PEREAUX, Pierre ETIENNE, Pierre OUTERS, Raphaëlle DELIEGE, Sandrine QUATRESOOZ, Stéphanie BIQUET, Thierry LODOMEZ, Thomas BOLAERS, Valentine LARDINOIS, Valérie STEVENS, Véronique LAURENT, Xavier SPIRLET, enseignants en promotion sociale ou dans le supérieur.
Alix JANSSENS, Anne-Sophie LEPRINCE, Arthur JOBÉ, Arthur PAGLIA, Aurore FACHERIS, Cécile MANTELLO, Christelle LEONARD, Damien LINDER, Estelle GATHY, Françoise HUBERT, Gaëlle JEANMART, Gisèle WEIMANN, Jean-Pierre MERGEAI, Joëlle COENRAETS, Justine GERARD, Laura EVRARD, Moritz LENNERT, Odile JULEMONT, Sandrine SCHLÔGEL, Sarah BALTEAU, Sarah CRICKBOOM, Sarah VAN DEN STEEN, Stéphane RIGA, Stéphanie SARLET, Stéphanie WIKET, Thomas VAN SIMAEYS, Youssef AIT HMAD, travailleurs dans des associations autour de l’école (écoles des devoirs, services d’accrochage scolaire, etc.).