Une opinion de Jean-François Vanwelde, enseignant
J’enseigne depuis douze ans dans une école anderlechtoise à des élèves de 18 ans. J’ai commencé avec un tableau noir et une craie. Puis, les évolutions se sont enchaînées. On a équipé les locaux de tableaux blancs, de projecteurs et d’ordinateurs. Les élèves ont commencé à utiliser leur téléphone dans la cour de récréation, puis dans la classe. Aujourd’hui, ils s’autorisent même parfois à garder leurs écouteurs sans fil dans les oreilles pendant les cours malgré les remarques répétées de leurs enseignants.
Dans cette évolution permanente, l’Intelligence Artificielle est arrivée. Une vraie révolution. Si du temps de Google, les élèves se contentaient de faire du copier/coller pour leurs travaux, cette fois, avec les outils de l’IA, le niveau donne l’illusion d’être infiniment meilleur. En fait, depuis l’arrivée de ChatGPT, la qualité des travaux des élèves est inversement proportionnelle à leur attention en classe.
Comme il est impossible d’interdire l’utilisation de l’IA et difficile de prouver cette utilisation, j’essaie de former mes élèves à utiliser au mieux cet outil qui peut être fabuleux. Je leur apprends à écrire des prompts intelligents, à faire relire leurs travaux par l’IA, à avoir une base de culture générale solide permettant de valider une intuition et une production faite par un robot. Je leur apprends à ne pas se contenter d’une “première production”, mais à challenger l’IA pour avoir la meilleure version de leur travail. Je les amène aussi à créer, non seulement du texte, mais aussi des vidéos, des musiques ou des présentations. C’est une façon pour moi de les faire travailler sur le contenu de mon cours de manière ludique. Je veille toutefois à ce que les élèves gardent un goût de l’effort et la satisfaction d’un travail de qualité qu’ils ont réalisé par eux-mêmes. Par moments, j’autorise l’utilisation de l’IA. Souvent, je l’interdis. J’espère que ce “contrat” avec les élèves permette une meilleure harmonie dans leurs apprentissages.
La loi du moindre effort
Cependant, les élèves ne perçoivent pas toujours l’importance de se forger un socle de connaissances et de compétences solides. Trop souvent, ils succombent à la loi du moindre effort. Dans un moment “IA interdite”, j’ai surpris un élève à photographier un exercice que j’avais projeté au tableau et à demander à l’Intelligence Artificielle développée par Snapchat de résoudre le problème. Pour plusieurs autres cas, la suspicion était présente également, sans arriver à prouver l’utilisation de l’IA. Jusqu’au jour…
Quand j’ai fait part aux élèves de ma déception, quasiment tous ont nié avoir triché. Il a fallu que je leur explique que j’avais placé un traceur et que j’étais sûr à 100% qu’ils avaient répondu à l’interro avec l’IA pour que certains le reconnaissent à demi-mot.
Jusqu’au jour où, dans ma volonté de former des citoyens critiques, je décide de placer un traceur dans mon cours. Lors d’un cours sur les médias, j’explique qu’il existe deux grands groupes de presse en Belgique francophone qui reprennent les principaux quotidiens de presse écrite : Rossel et IPM. J’explique que Rossel possède Le Soir et le groupe SudPresse, et que le groupe diversifie ses activités depuis plusieurs années avec le rachat de parts de RTL Belgium et le développement de divers sites/suppléments, comme Immovlan, Références, etc. Même topo pour IPM, qui possède trois grands journaux avec La Dernière Heure/Les Sports, La Libre et l’Avenir, et développe d’autres activités du même type avec une chaîne de télévision (LN24) et un site lié à l’emploi : Jobat. Et c’est là que se trouve le traceur puisque le site Jobat, même s’il a un partenariat avec La Libre, n’appartient pas à IPM.
Déception
Lors de l’évaluation, comme à mon habitude, je surveille la classe. Je surprends une élève à tricher avec son téléphone, je lui mets 0. D’autres élèves m’appellent tour à tour pour des questions, auxquelles je vais naturellement répondre. Le tour est classique : pendant que je réponds individuellement à un élève, les autres en profitent pour discrètement prendre une photo de mon interro, la charger dans ChatGPT et demander à l’IA de générer les réponses. Le tout, sans que je ne m’en aperçoive.
À la question de savoir à quel groupe de presse appartient Jobat, 16 élèves sur 22 m’ont répondu “Mediahuis”, un groupe de presse flamand (ce qui constitue la bonne réponse). Mais je n’ai jamais parlé de Mediahuis en classe. Trois élèves m’ont, eux, dit que RTL appartenait à Bertelsmann. C’est vrai pour le groupe RTL Group, dont ne fait plus partie RTL Belgium, mais de nouveau, ce nom ne leur a jamais été présenté.
Quand j’ai fait part aux élèves de ma déception, quasiment tous ont nié avoir triché. Il a fallu que je leur explique que j’avais placé un traceur et que j’étais sûr à 100 % qu’ils avaient répondu à l’interro avec l’IA pour que certains le reconnaissent à demi-mot. Je ne leur ai pas dit tout de suite le nom des élèves convaincus de tricherie. J’ai alors assisté à une scène amusante (pour moi) où tous les élèves justifiaient leurs réponses suspectes, même les six dont je n’avais pas directement détecté de tricherie. Autrement dit, ils avaient tous triché.
Espoir
Je ne me fais pas d’illusions : l’IA ne disparaîtra pas de leurs vies, ni de la mienne. Elle est là, comme le sont les téléphones, les réseaux sociaux et les écouteurs sans fil. Mais je continue à vouloir croire qu’on peut (et qu’on doit !) apprendre à bien l’utiliser. Qu’on peut former des élèves curieux, critiques, capables de faire la part des choses entre facilité et effort. Je ne veux pas céder à la méfiance permanente, ni à la naïveté. Alors je trace une ligne, j’explique, je guide, et parfois je sanctionne. Et malgré tout, je garde espoir. Parce qu’au fond, mon métier, c’est ça : croire que chaque élève peut apprendre, grandir, et devenir un peu meilleur. Avec ou sans IA.