Les dossiers de prépension des enseignants sont bloqués depuis des semaines par le fédéral sur base d’une réforme des retraites toujours en discussion. Exaspérés, les syndicats portent des dossiers en justice. La CSC a introduit deux actions en référé. L’Appel devrait bientôt faire de même.
Appelons-le Philippe. A presque 58 ans et 37 années de carrière il se réjouissait de partir en DPPR (prépension) le 1er février 2026. Confiant, il avait introduit son dossier plus d’un an à l’avance, en décembre 2024, et commençait à programmer son futur temps libre. Las, il est aujourd’hui bloqué dans ses démarches.
Appelons-la Joëlle. A bientôt 60 ans et 38 années de carrière. Elle a, en janvier 2025, par l’intermédiaire de son établissement, introduit une demande de DPPR à la Communauté française pour le 1er septembre suivant. Demande acceptée puis finalement suspendue. La douche froide.
Dans le cas de Philippe et Joëlle, tout est une question de date « P » : dans l’attente de l’officialisation de sa grande réforme des retraites, le Service fédéral des pensions ne communique plus à la Communauté française cette fameuse date à partir de laquelle peut se calculer un départ en DPPR.
Légal ? Absolument pas selon les organisations syndicales qui n’en décolèrent pas. Geler un dispositif de fin de carrière sur base d’une législation qui n’existe pas encore est, pour elles, un non-sens. La CSC-Enseignement passe à l’action : elle vient d’assigner en référé la Communauté française et le Service fédéral des pensions. Ces prochains jours le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne et son homologue de Liège auront à traiter respectivement des dossiers de Philippe et Joëlle. Avec l’espoir d’emporter une décision favorable applicable aux centaines d’enseignants dans la même situation. On rembobine pour comprendre…
Régime spécial suspendu
La DPPR est l’acronyme de « disponibilité pour convenances personnelles précédant la pension de retraite », en bref c’est une mesure d’aménagement de fin de carrière spécifique au monde de l’enseignement. Pour y avoir accès à temps plein, il faut être âgé de 58 ans et cumuler au minimum 20 années de service. Une DPPR est aussi possible à temps partiel à partir de 55 ans. Pour la première formule, elle dure, au maximum, autant de mois que le membre du personnel a d’années de carrière. Durant cette période, ce dernier reste à charge de la Communauté française en touchant 75 % de son dernier traitement.
On l’a compris, comme il s’agit d’un régime spécial précédant la retraite officielle il faut logiquement connaître la première date à laquelle l’enseignant sera admis à la pension. Disponible – pour tout le monde d’ailleurs – sur le site mypensionelle doit cependant être communiquée officiellement à la Fédération Wallonie-Bruxelles par le Service fédéral pension. C’est ici que le bât blesse : le 12 février dernier, le SPF Pension a informé la Communauté française qu’il ne lui communiquerait plus les dates « P ». Dès lors, indique l’administration générale de l’enseignement dans une circulaire publiée le 19 mars dernier, « pour les membres du personnel qui ont introduit une demande de DPPR mais pour lesquelles aucune date “P” n’a été communiquée, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas en capacité de leur accorder ». Ils seraient 337 dans ce cas, sans compter tous ceux qui ont, depuis, émis le désir de partir sans pouvoir officiellement introduire de dossier. La même circulaire précise : « Le Ministre fédéral des Pensions a indiqué que ces demandes restent suspendues jusqu’à nouvel ordre et seront soumises, à partir du 1er janvier 2026, à ce qui est présenté dans l’accord de gouvernement fédéral ».
Cette circulaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles est illégale estime le syndicat chrétien dans sa citation à comparaître en référé, car les « informations qu’elle contient sont en contrariété avec la législation et la réglementation applicables actuellement et (…) créent une discrimination injustifiée entre les membres du personnel de l’enseignement ». Elle prie donc le tribunal de « condamner les deux parties (Communauté française et SPF Pension, NDLR) à traiter la demande de DPPR et à déterminer la date de pension P ». L’urgence est, dans le cas de Joëlle, justifiée par le fait que, tant l’employée que l’employeur, doivent pouvoir anticiper l’acceptation, voire le refus, de cette demande en temps utile. A défaut d’une exécution du jugement éventuellement prononcé par le tribunal des référés les deux parties pourraient être condamnées à une astreinte de 300 euros par jour.
A noter que le syndicat Appel (Association professionnelle du personnel de l’enseignement libre) projette lui aussi des actions en justice. La semaine dernière, il a mis en demeure la Communauté française de traiter les dossiers de DPPR en souffrance et, en l’absence de réponse, il va dans quelques jours, lancer une procédure au niveau du tribunal de première instance de Bruxelles. Avec son avocat Maître Etienne Piret, il estime notamment que l’octroi d’une DPPR est une mesure propre à la Communauté française et ne peut être conditionné à la délivrance d’un document administratif tel que le certificat date P. « C’est une situation ubuesque », commente Jean-Marc Lemaître, secrétaire général de l’Appel, « car des enseignants pourront débuter leur DPPR au 1er septembre prochain alors que d’autres, à conditions égales, seront dans l’impossibilité de le faire ».
A la CSC, son homologue Roland Lahaye se fait plus incisif : « Ce n’est pas compliqué, on demande précisément qu’on cesse de geler un dispositif sur base d’une législation qui n’existe tout simplement pas encore ».
En attendant, au cabinet de la ministre Glatigny, on jure n’être pour rien dans cette situation déclenchée par le fédéral et on négocie avec le ministre des Pensions pour clarifier les dossiers introduits avant février dernier.
Par Eric Burgraff Chef du pôle Société