
Les élèves qui suivent l’enseignement«à domicile» n’ont jamais été aussi nombreux en Fédération Wallonie-Bruxelles.Pierre-Yves Thienpont.
Cette année scolaire 2023-2024, 3.188 élèves francophones suivent l’enseignement à domicile ou assimilé. La tendance semble s’être bien installée au lendemain de la crise sanitaire. Une plateforme en ligne existe pour soutenir les familles, mais son utilisation serait insuffisante.
Un site cauchemardesque », « des exercices datant d’une autre époque », avec un cours entier sur l’annuaire téléphonique et le fax notamment, « un site inaccessible durant plus d’un mois ». C’est avec ces mots que Charlotte, maman de deux enfants (de 10 et 16 ans), décrit la plateforme d’enseignement à distance mise en place par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Avec sa tribu, elle a décidé de partir une année pour un voyage autour du monde. « Je voulais évidemment que les enfants gardent le rythme scolaire », dit-elle. « Nous utilisons la plateforme d’apprentissage depuis septembre dernier. Cette plateforme est une catastrophe. Les cours ne sont ni classés ni hiérarchisés. On ne sait pas par lequel commencer. » Pour Charlotte, un seul point positif à cette plateforme : les enseignants corrigent très rapidement les devoirs, avec des commentaires précis. « C’est donc bien la plateforme qui devrait être revue en profondeur et faire l’objet d’une évaluation, et pas les enseignants. »
L’utilisation de la plateforme n’est pas obligatoire mais est conseillée pour les enfants qui suivent l’enseignement à domicile ou assimilé. C’était le cas de 3.265 élèves francophones en 2022-2023. Un chiffre record, redescendu à 3.188 cette année scolaire. « Il revient aux responsables légaux de mettre en place un encadrement pédagogique complet qui va permettre à l’enfant d’évoluer et d’atteindre le niveau d’études attendu à son âge », indique l’administration de l’enseignement. « L’objectif principal de la plateforme est de préparer aux épreuves du jury de la Communauté française, ainsi qu’aux épreuves externes certificatives (CEB, CE1D, CE2D, CESS). Il est recommandé de varier les sources pédagogiques dans le cadre d’un enseignement à domicile. »
Sauf que le site en question est resté inaccessible pendant plus d’un mois à la fin de l’année 2023. En cause : un incident technique important. « Une actualisation complète des contenus est en cours depuis le début de cette année scolaire en vue de répondre aux exigences des nouveaux référentiels du tronc commun », informe l’administration. Cette refonte s’accompagne d’une révision du site. La nouvelle version installée a impliqué la perte des activités effectuées par les élèves entre le 23 octobre et le 14 novembre. En ce compris les échanges avec les tuteurs attribués aux jeunes. Cet accroc a entraîné démotivation et peur de l’échec. « Le petit a eu peur de rater son année. Heureusement, j’avais enregistré tous les devoirs et j’ai pu les reposter sur la plateforme. Le grand a décidé de ne pas valider son année. Il reprendra sa 5 e secondaire à notre retour l’année prochaine », témoignage Charlotte. « Je crains que cela ait découragé pas mal d’enfants, surtout ceux qui ne bénéficient pas d’un suivi régulier à la maison et qui sont déjà en décrochage. »
+ 60,7 % d’élèves à domicile
Après une semaine d’utilisation, Magalie, maman de trois filles, a abandonné la plateforme E-learning au profit des manuels Plantyn. « Le cours de mathématiques de 2 e primaire n’existait tout simplement pas. Au-delà des problèmes techniques, le site est très peu intuitif. La méthode d’apprentissage est très formelle et peu adaptée aux enfants à besoins spécifiques. »
Pourtant, les élèves qui suivent l’enseignement « à domicile » n’ont jamais été aussi nombreux en Fédération Wallonie-Bruxelles. Durant l’année scolaire 2022-2023, 3.265 élèves étaient inscrits dans l’enseignement à domicile ou assimilé (principalement des établissements privés dont l’enseignement n’est pas reconnu) sur les 900.000 élèves (maternel, primaire et secondaire) que compte la Communauté française. Ce nombre est descendu à 3.188 en 2023-2024 (2.172 à domicile et 1.016 dans une école privée), mais il reste bien supérieur aux années « pré-covid ». Ils étaient en effet 1.984 en 2019-2020 (+60,7 %), l’année scolaire précédant la crise sanitaire qui a touché de plein fouet les établissements scolaires.
Si l’administration de l’enseignement a constaté une nette augmentation des chiffres au moment du covid, elle ne s’explique pas qu’ils n’aient pas diminué depuis lors. « Les parents n’ont pas l’obligation d’indiquer le motif du choix de l’enseignement à distance lorsqu’ils s’y inscrivent. Pour ceux qui en fournissent un, on peut identifier, dans une très large majorité des cas, des motifs liés à des choix de vie ou à des options pédagogiques qui se concilient mal avec l’école traditionnelle et, d’autre part, des situations qui font écho à des difficultés de l’enfant auxquelles l’école ne pourrait répondre, selon les parents du moins. » Seule une minorité d’élèves (3 %) serait, comme ceux de Charlotte, en itinérance ou en voyage.
Respecter une série d’obligations
Pour Nathalie Boton, de l’ASBL Enseignement à domicile, les causes de la scolarisation sont multiples. « Il y a ceux qui le font de manière volontaire et ceux qui le font de manière contrainte parce que leur enfant est malade, qu’il est en décrochage, qu’il a des besoins spécifiques auxquels l’école ne répond pas. Pour ces familles, c’est vraiment dommage. L’école pourrait œuvrer à récupérer ces enfants. » L’ASBL Enseignement à domicile fut créée en 2019 par des parents soucieux d’échanger des informations et de partager sur le sujet. « Nous répondons quotidiennement à des parents qui se sentent perdus. Si le phénomène de l’enseignement à domicile est en expansion, il reste minime par rapport aux 900.000 élèves de la Communauté française, mais surtout il est rempli d’ a priori. » Des a priori qui viseraient la socialisation des enfants, leur niveau scolaire et les compétences des parents à instruire leur progéniture.
Lorsque les enfants suivent l’enseignement à domicile, les parents ou les tuteurs sont tenus de respecter une série d’obligations telles que : fournir, à la demande, toutes les ressources mobilisées pour que l’enfant atteigne ses objectifs (il peut s’agir de l’inscription à des cours à distance), réussir un contrôle organisé pour les enfants de 8 et 10 ans, et passer les épreuves certificatives communes (CEB à l’année des 12 ans, CE1D à 14 ans, CE2D à 16 ans). Dans le cas contraire, la Commission de l’enseignement à domicile peut décider du retour de l’élève à l’école.
CHARLOTTE HUTIN