De nouvelles grèves tournantes se profilent en Belgique. Ce “vent de colère” venu du front commun syndical des enseignants soufflera sur les écoles du 7 au 11 avril. Auprès de La Libre, trois professeurs témoignent des leurs craintes face à la batterie de mesures du gouvernement francophone.

La coupe est pleine pour Vincent Ryckoort. Elle déborde même de toutes parts, selon ce professeur de sciences sociales à Ganshoren. Avec nombre de ses collègues, il entamera une grève contre le flot de mesures annoncé dans l’enseignement par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). En ligne de mire : la fin du système de nomination, la réforme du qualifiant ou encore les diverses coupes budgétaires annoncées.

Pas question d’enterrer le statut

Bien qu’il soit nommé depuis plusieurs décennies, Vincent Ryckoort s’inquiète. Non pas pour sa propre situation, mais bien pour celle de ses collègues. “Pour certains professeurs, la nomination reste une sorte de Graal, amorce-t-il. Elle permet de décrocher plus facilement un prêt auprès d’une banque, les conditions de congés ne sont pas les mêmes, sans parler de la sécurité et de la stabilité que cela apporte.”

Pour rappel, la ministre de l’Éducation, Valérie Glatigny (MR), souhaite remplacer le statut par un contrat à durée indéterminée (CDI) pour l’ensemble des nouveaux professeurs à partir de la rentrée 2027. Un projet qui doit renforcer l’attractivité du métier pour l’exécutif (environ 34 % des enseignants quittent la profession endéans les cinq années qui suivent leur entrée en fonction). Une ineptie pour les professeurs qui se mobiliseront en ce début de semaine. “Le statut offrait des perspectives claires en termes de salaires, de pensions et de conditions d’engagement. La fin de la nomination libéralisera davantage le marché scolaire. Ce n’est pas en fragilisant encore plus le secteur qu’on attirera des jeunes”, estime Vincent Ryckoort.

À cette crainte se superpose un autre enjeu : celui de l’indépendance des instituteurs. “On risque de tomber dans un arbitraire total”, souffle le professeur. Historiquement, le régime statutaire consacrait en effet la protection des fonctionnaires vis-à-vis du pouvoir en place. Ainsi, un professeur nommé se voyait mis à l’abri des velléités politiques (ou religieuses) grâce à son titre. Au contraire, dans le cadre d’une relation contractuelle, les licenciements s’avèrent plus aisés. “La démocratie reste fragile. C’est très inquiétant. Qui peut prédire de quelle manière vont évoluer les majorités en FWB ou dans certaines communes ?”, se questionne-t-il.

Bye bye les septièmes ?

Au cœur des salles des profs de la capitale et du sud du pays, les craintes demeurent nombreuses. Pourtant Damien Dequesne a de la bouteille. Affichant vingt-cinq ans de carrière au compteur, cet enseignant et délégué syndical CSC donne cours à des élèves de la cinquième à la septième technique et professionnelle du côté de Jambes (Namur).

Quand j’entends Bouchez, Glatigny ou les Engagés, je me sens méprisé. Comme d’autres fonctions du secteur public d’ailleurs. Pendant la pandémie, nous étions indispensables, presque des héros. Aujourd’hui ? Excusez-moi l’expression, le gouvernement nous crache à la gueule.

Damien Dequesne, enseignant à Jambes et délégué syndical CSC

“Supprimer les septièmes techniques pour les détenteurs de CESS (le diplôme de 6e, NdlR) pose problème. Je constate que ces septièmes sont énormément fréquentées par les élèves. S’ils restent dans les écoles, il existe une raison : ils ne souhaitent pas aller en IFAPME ou en promotion sociale (des formations pour adultes, NdlR). Non pas parce que c’est moins bien, mais parce que l’encadrement n’est pas le même”. Derrière cette mesure, Damien Dequesne perçoit une manière déguisée de réaliser des économies, avec à la clé des pertes d’heures… et d’emplois.

There’s no alternative

Mais ce qui fait vraiment sortir Damien Dequesne de ses gonds, encore plus que les mesures elles-mêmes, c’est la communication qui les accompagne : “Quand j’entends Bouchez (président du MR), Glatigny ou, dans une moindre mesure, Les Engagés, je me sens méprisé. Comme d’autres fonctions du secteur public d’ailleurs. Pendant la pandémie, nous étions indispensables, presque des héros. Aujourd’hui ? Excusez-moi l’expression : le gouvernement nous crache à la gueule.”

D’un côté, les enseignants se chauffent la voix en vue des prochaines actions. De l’autre, la coalition MR-Engagés campe sur ses positions face au déficit chronique de la FWB. En invoquant l’absolue nécessité d’éviter un “scénario à la grecque”, la stratégie du gouvernement rappelle la formule de la Dame de Fer, Margaret Thatcher : “There is no alternative”. Un credo que les grévistes rejettent en bloc.

“Le gouvernement veut que l’école soit rentable. Il la fragilise pour récupérer des sous, estime le Namurois. Pourtant, de l’argent se trouve bel et bien ailleurs, mais ils ne veulent simplement pas le voir. Conséquence, on fait des coupes, notamment sur le dos du qualifiant (15,5 millions en moins dans le budget 2025, NdlR)”.

En filigrane, tous les professeurs interrogés par La Libre reprochent à la majorité Azur (MR-Engagés) un manque de connaissance du terrain. La ministre Glatigny avait annoncé de vastes consultations avec un panel représentatif du corps enseignant. Mais Dyonissis Zoes, professeur d’anglais à l’athénée Léonie de Waha à Liège, a beau chercher, il ne trouve pas traces de discussions : “Nous ne les avons entendues nulle part. Pourtant, sous le précédent gouvernement, avec le Pacte d’excellence, nous avions reçu des mails et des propositions pour venir échanger. Ici, rien ! De la poudre aux yeux. Et s’il y a vraiment eu des échanges, pourquoi n’avons-nous pas été invités ? Nous sommes l’un des plus gros établissements de la région.”

En hiver, j’ai moins de seize degrés dans ma classe. Il y a quelques années, j’ai demandé des rideaux… Je les attends toujours. Depuis vingt ans, nous nous serrons la ceinture. Je pense que l’école ne supportera pas un nouveau régime.

Dyonissis Zoes, professeur d’anglais à l’athénée Léonie de Waha (Liège)

Faute d’être entendus au sein des cabinets, les enseignants se feront entendre dans la rue. Car des revendications, ils en ont plein les cartables. Las, Dyonissis Zoes s’interroge notamment sur les réductions de budget : “Comment le gouvernement veut-il réaliser encore des économies ? Allons-nous devoir revendre les châssis de nos vieilles fenêtres ? Soyons sérieux… Nous roulons déjà sur les jantes car on nous a retiré les pneus.”

Les fonds destinés aux bâtiments scolaires (WBE, officiel subventionné et libre subventionné) diminueront, par exemple, de 2 % en 2025. Soit, une économie de 3,4 millions d’euros. Les professeurs craignent une nouvelle détérioration des conditions de travail au détriment de la qualité d’apprentissage des élèves.

L’état des écoles francophones n’a pourtant rien de réjouissant. Selon une récente enquête de la RTBF, la moitié des bâtiments scolaires de la FWB nécessite des rénovations et près de 500 devraient être détruits. Ce délabrement des infrastructures, le Liégeois le constate au quotidien : “En hiver, j’ai moins de seize degrés dans ma classe. Il y a quelques années, j’ai demandé des rideaux… Je les attends toujours. Depuis vingt ans, nous nous serrons la ceinture. Je pense que l’école ne supportera pas un énième régime”.