Mal payés, peu considérés, peu aidés d’un point de vue technique et administratif… : les directeurs du fondamental crient leur ras-le-bol.
Un jour, les politiques se rendront compte qu’une école ne peut pas tourner sans directeur. Mais nous craignons qu’à ce moment-là, il ne soit trop tard. » Christine Toumpsin, présidente du collège des directeurs du fondamental libre, et Thierry Scoyer, président de la section Namur-Luxembourg du même collège, sont marris. Cela fait dix ans, au moins, qu’avec leurs prédécesseurs ils tirent la sonnette d’alarme… dans le vide, assurent-ils.

« Pourtant » reprend le second, « pas plus tard qu’en juillet dernier, la ministre Désir écrivait ceci dans une circulaire : “L’impact du rôle des directeurs sur la qualité de l’enseignement, le dynamisme des écoles et le bien-être des élèves et des équipes pédagogiques n’est plus à démontrer. On peut constater un important accroissement des responsabilités qui lui incombent et des compétences requises pour exercer cette fonction : entre autres, les qualités relationnelles, un leadership pédagogique, la capacité de fédérer et de piloter des équipes.” Nous la remercions de signaler par écrit toute l’importance de notre rôle. Mais la réalité est tout autre : la ministre Désir nous entend parfois mais nous ne nous sentons pas écoutés. Ni reconnus d’ailleurs. Un peu comme si nous occupions des sous-fonctions dans le monde de l’école. »

Proches du burn-out

Il y a quelques semaines, Thierry Scoyer a vu débarquer en réunion, des collègues directeurs au bout du rouleau, éreintés par le poids de la fonction, épuisés par les nouvelles tâches administratives que la rentrée leur avait apportées. « Les plus âgés étaient proches du burn-out, les plus jeunes prêts à quitter le métier. » Alors, ce jour-là, il a décidé de bouger. Il a couché noir sur blanc les soucis des uns et des autres, tentant d’objectiver les problèmes. Il a partagé sa missive, un peu comme on lance une bouteille à la mer. Quelques jours plus tard, des dizaines de messages de soutien lui étaient adressées, en provenance de tous les coins de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En provenance aussi d’autres réseaux. Des témoignages effarants sur les conditions de travail. Avec Christine Toumpsin, avec des collègues du réseau communal, ils ont pris rendez-vous chez le ministre-président de la Communauté française, persuadés que la recherche de solutions passe par le sommet du gouvernement.

Aussi, ce mercredi, ils vont lui expliquer pourquoi « ils se sentent méprisés ». Ils l’inviteront à jeter un œil sur leur fiche de salaire : celui d’un instituteur rehaussé d’une petite prime liée au nombre d’élèves. « Une misère en fait. Il n’y a d’ailleurs pas de barème spécifique, pas de valorisation à la hauteur des responsabilités que nous devons prendre. Pire, dans les petites écoles, des directeurs gardent une charge de classe ; dans d’autres ils gèrent plusieurs implantations ; dans d’autres encore des instituteurs titulaires d’un master sont mieux payés que leur directeur. Sans aucune tâche supplémentaire. Nous voulons un vrai barème calculé sur la base des responsabilités exercées. »

Déboucher les toilettes

Ces responsabilités, précisément, ils les aligneront aussi à l’attention du ministre-président. « On compte sur notre leadership pédagogique pour installer tous les rouages du Pacte d’excellence. Nous y adhérons, mais nous devons le faire pratiquement sans aucune aide supplémentaire. A côté de cela, nos missions se poursuivent : la gestion administrative, l’animation pédagogique, les ressources humaines, la gestion de la violence des parents et des enfants, le décodage des tracas des élèves, le suivi de rencontres avec la protection de la jeunesse… Et c’est compter, surtout dans le libre où le personnel technique est le plus souvent inexistant, sans toute une série de tâches manuelles. » Christine Toumpsin : « Déboucher une toilette, régler des problèmes d’électricité… » Thierry Scoyer : « Saler la cour à 7 heures du matin, venir avec ma remorque, ma scie-sauteuse ou ma débroussailleuse… » Il ajoute : « La seule aide que nous avons, c’est 62 euros par élève pour engager du personnel administratif… Il en faut 500 pour pouvoir payer un temps plein. »

La liste des doléances est longue… comme un jour sans école. Ce mercredi, les directeurs du fondamental diront au chef du gouvernement francophone qu’ils ne veulent plus travailler dans ces conditions-là. Que le minimum est d’aligner le fonctionnement de leurs établissements sur le secondaire inférieur. « Avec le même nombre d’élèves, une école secondaire jouit d’un ou deux secrétaires, d’un comptable, de deux éducateurs, voire d’une sous-direction. » Iront-ils manifester ? « Notre place est au milieu de nos élèves, pas sur un ring ! Notre profession si importante n’a pas à descendre dans la rue pour se faire entendre. »

Une réforme «difficilement soutenable», selon l’école communale

Par Eric Burgraff
Alors que les directeurs des écoles fondamentales libres crient leur ras-le-bol au ministre-président, leurs collègues de l’enseignement communal font de même via une carte blanche. Plus précisément, c’est le CECP (le Conseil de l’enseignement des communes et provinces) qui a pris la plume pour dire, au nom des pouvoirs organisateurs et de leurs directions, combien la mise en œuvre du Pacte d’excellence va s’avérer chaotique dans quelques mois.

Après une année de léthargie pour cause de covid, ledit Pacte doit retrouver des couleurs avec l’implémentation, l’année prochaine, de réformes plus chronophages les unes que les autres. Philippe Barzin, secrétaire général du CECP, les aligne : le dossier d’accompagnement de l’élève, l’évaluation de la première vague des plans de pilotage, l’évaluation des enseignants, le portfolio, le passeport élève, le tronc commun, la réforme des rythmes… « Si la grande majorité des directions partage la nécessité de réformer l’école et l’ambition d’améliorer la qualité de l’enseignement, elles attirent quotidiennement notre attention sur leur besoin de soutien et leur demande de reconnaissance. Elles estiment que le rythme de mise en œuvre de la réforme risque de devenir difficilement soutenable, au vu de leur état de fatigue et de celui de leurs équipes », écrit le CECP dans une carte blanche adressée au Soir. Ses membres y parlent « de la colère, de la lassitude et du découragement des directions ». Ils y réclament hausse de salaire, aide administrative, personnel d’éducation et allégement des charges administratives.