La ministre de l’Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, Valérie Glatigny, était l’invitée de Jeudi en Prime ce 12 décembre. Après un long échange consacré aux réformes en cours, l’entretien en est venu à la question de la lutte contre “les extrémismes au sein des classes“, point sur lequel la ministre se montre volontariste.

Elle cite d’abord l’un ou l’autre exemple dont elle a eu connaissance, comme celui d’une prof confrontée au refus d’un jeune de lui serrer la main. Ensuite, à la question de savoir s’il s’agit de cas isolés, elle déclare : “Il y a eu plusieurs signalements de ce type-là, y compris via des appels. Il y a un numéro d’écoute pour les enseignants, on a vu une augmentation des appels”.

Selon la ministre Valérie Glatigny, le baromètre du respect a été envoyé à 120.000 professeurs et 10.000 y ont répondu. “7 répondants sur 10 disent qu’ils se sont déjà autocensurés” ajoute la ministre de l’Éducation, pointant “une question portant spécifiquement sur les intimidations envers les enseignants qui peuvent aller jusqu’à une forme d’autocensure, c’est-à-dire quand un professeur par exemple ne veut plus ou n’ose plus enseigner le conflit israélo-palestinien ou l’histoire de la Belgique parce qu’il a peur de subir des intimidations d’élèves ou de parents”.

Dans Jeudi en prime, la ministre a dans la foulée appelé à “regarder la réalité en face”, insistant sur l’importance de soutenir les enseignants, notamment via les équipes mobiles d’accompagnement, et la nécessité de rappeler la norme face à des comportements qui posent problème : “le prosélytisme politique ou religieux n’a pas sa place à l’école”. Par prosélytisme, on entend le zèle déployé pour recruter des adeptes.

Nous avons voulu en savoir davantage sur les chiffres évoqués brièvement par Valérie Glatigny. Voici quelques éléments de compréhension.

6 appels aux équipes mobiles ont concerné la prévention de la radicalisation

Tout d’abord, il s’avère qu’il y a eu “une confusion dans les chiffres“, selon le cabinet de la ministre contacté aujourd’hui.

A savoir qu’il y a d’une part le numéro vert accessible aux enseignants tout comme aux élèves ou aux membres de leur famille. Ce numéro permet de “débloquer les situations de tension, conflits et violence à l’école, dans l’anonymat“, précise le cabinet.

D’autre part les appels passés aux “équipes mobiles“, provenant des écoles ou transitant par la ligne d’écoute.

Les équipes mobiles interviennent dans les écoles à leur demande en cas de besoin sur toutes sortes de thématiques. Multidisciplinaires, elles analysent les problèmes au cas par cas.

En termes de chiffres, il y a eu depuis la rentrée 6 appels concernant la problématique du radicalisme sur 459 appels aux équipes mobiles.

Dans le détail, à côté des 6 appels concernant le radicalisme, il y a eu 41 dossiers pour des incidents critiques, 235 pour des problèmes d’absentéisme et 177 pour des conflits divers. Le service évoque par exemple la question du harcèlement.

Nous avons voulu comparer les chiffres concernant la radicalisation depuis cette rentrée avec ceux des années précédentes. Le cabinet signale qu’il y a eu 22 appels sur le radicalisme en 2023-2024. Le nombre de dossiers radicalisation le plus élevé était de 33, en 2017-2018, soit l’année qui suivait les attentats à Bruxelles.

Nombre de dossiers “radicalisation” Année scolaire
22 2023-2024
26 2022-2023
17 2021-2022
12 2020-2021
14 2019-2020
9 2018-2019
33 2017-2018
Un “pseudo-baromètre du respect”, dénoncent les syndicats

Contesté, le baromètre du respect évoqué par Valérie Glatigny n’a pas encore été rendu public. L’une des questions porte sur l’autocensure. Comme mentionné plus haut, le questionnaire a été envoyé à 120.000 professeurs, explique la ministre, et 10.000 y ont répondu.

Suite à l’interview sur nos antennes, l’Association des parents luttant contre l’échec scolaire et l’abandon scolaire nous a fait parvenir une copie des questions.

Voici la formulation de la question 33 : “Au cours des 5 dernières années, combien de fois avez-vous été confronté(e) à de l’autocensure”. Les répondants pouvaient choisir entre quatre réponses : “jamais”, “moins de 5 fois”, “entre 5 et 10 fois”, “plus de 10 fois”.

Nous n’avons aucun détail sur les choix posés par les répondants parmi les possibilités de réponse. Par ailleurs, il n’y a pas de sous-question. Il est donc impossible de savoir à quoi un prof ayant répondu positivement fait référence sur cette seule base. Plusieurs interprétations sont possibles.

L’Association des parents en question fait part de son “étonnement” face aux conclusions tirées par la ministre. Les syndicats ne sont pas en reste.

Avoir les résultats de ce pseudo-baromètre, ça ne nous intéresse tout simplement pas

Luc Toussaint de la CGSP Enseignement

Luc Toussaint de la CGSP Enseignement balaye :“Le résultat du baromètre ne nous intéresse absolument pas du tout parce que ce n’est pas un baromètre. Si elle veut construire un outil pour identifier une réelle problématique avec des questions qui sont scientifiques, nous sommes prêts à en discuter avec elle. Mais ici, avoir les résultats de ce pseudo-baromètre, ça ne nous intéresse tout simplement pas.” Il estime le questionnaire orienté. “On peut aussi faire des questionnaires pour faire dire ce que l’on veut.”

Roland Lahaye de la CSC parle lui aussi d’un “pseudo-baromètre”.

Mais sur le fond ? Les syndicats observent-ils des problèmes de terrain liés à des formes d’extrémismes, de prosélytismes ou de radicalismes ?

“Je ne pense pas qu’il y ait un nouveau problème par rapport à la radicalisation”, répond Luc Toussaint. “On parle de radicalisation religieuse depuis des années et des années. Il n’y a pas d’augmentation du phénomène. Il y a toujours des cas ponctuels d’enfants qui ont des réactions, mais ce n’est pas un problème majeur et ce n’est certainement pas le moment où on prend des décisions qui sont beaucoup plus graves de sortir avec ça”, poursuit-il faisant référence aux différentes réformes annoncées et parlant d’une sortie médiatique “contrefeu”.

On parle de radicalisation religieuse depuis des années et des années. Il n’y a pas d’augmentation du phénomène.

Luc Toussaint de la CGSP Enseignement

“Ce sont des problèmes ponctuels qui se manifestent depuis longtemps et qu’on dénonce depuis longtemps”, explique de son côté Roland Lahaye.

Pour le syndicaliste de la CSC, “Il y a des enseignants qui sont mal à l’aise dans certains contenus de leurs cours. Quand on aborde par exemple le problème de la religion ou de certains conflits dans le monde. Mais tout ça, je vais dire, est un débat normal, démocratique, qui doit se tenir au sein des écoles sans jugement, que ce soit de la part des élèves ou de la part des parents”.

Le syndicaliste pointe tout de même le rôle des réseaux sociaux. “Il y a les réseaux sociaux qui ont fait leur apparition, qui ont mis une pression aussi sur les enseignants et qui viennent un petit peu perturber le débat et le dialogue. Et tout ça, on le dénonce depuis longtemps en disant qu’on doit porter une attention au bien-être des enseignants. Mais la réponse qui est donnée par la ministre via son baromètre n’est pas la réponse que l’on attendait.”, conclut Roland Lahaye.

Un réseau de prévention reste pertinent

Les données disponibles ce jour ne permettent donc pas de conclure à une accentuation particulière en ce moment des “prosélytismes religieux et politiques” dans l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Toutefois, la prévention reste d’actualité, en distinguant ce qui relève de la polarisation (qui concerne l’école, au même titre que l’ensemble de la société) et ce qui relève de formes violentes que peuvent prendre certains comportements radicaux.

Il existe d’ailleurs un réseau spécifique créé en 2016 suite aux attentats de Paris : le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents, qui aborde cette problématique de façon large et transversale et dans lequel est inclus notamment le Service des équipes mobiles.

Du côté néerlandophone, des dispositifs ont également été mis en place aux lendemains des attentats. La coordinatrice pour la prévention de la radicalisation et la polarisation dans l’enseignement flamand officiel GO ! nous a fait part d’une augmentation des signalements de difficultés signalées par des profs sur la ligne dédiée, sans chiffres précis.