Avant ce mardi 26 novembre, ces enseignants et membres du personnel n’avaient jamais participé à un mouvement de grève. Cette fois, ils étaient dans la rue – de Liège à Bruxelles – pour dénoncer les économies prévues par le gouvernement et alerter des conséquences pour leurs élèves.
Le train IC à destination de Bruxelles-Midi arrivera à la voie 7. » Sur le coup de dix heures ce mardi, des enseignants et membres du personnel, venus des écoles alentour, se rassemblent dans le hall principal de la gare. Ils sont quelques groupes épars aux vareuses vertes et rouges sur le dos. Un paquet de tracts sous le bras, ils interpellent les navetteurs de la SNCB pour les sensibiliser aux mesures d’économie prévues par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « On peut évidemment se demander si la grève sert à quelque chose », reconnaît Gaëlle, 32 ans, enseignante en économie familiale et sociale à l’Institut des Filles de Marie. « Aujourd’hui, c’est l’avenir des élèves qui est directement en jeu. Ce n’est pas une question de salaire ou de pension. »
Comme Gaëlle, ils étaient nombreux à manifester pour la première fois de leur carrière (petite ou grande). « La fragilité du statut a pu me dissuader par le passé. Je n’avais pas envie de me mettre en porte à faux par rapport à ma direction », énonce Morgane, éducatrice dans le même établissement. « Par ailleurs, les autres manifestations visaient plutôt l’amélioration des conditions de travail. Là, j’estime que la situation est suffisamment grave. » Elle pointe notamment l’interdiction faite aux élèves majeurs en décrochage de poursuivre dans l’enseignement secondaire. « Ma motivation principale, ce sont les élèves. »
Surtout les élèves, et un peu la nomination
A l’extérieur de la gare, ils sont des dizaines à brandir des slogans : « Le MR ment, il fera crever l’en-saignement », « en rouge et vert, on ne se laisse pas faire ». Pour Zineb (22 ans), une première année à donner cours et déjà une première grève. En ligne de mire : l’enseignement qualifiant qui tendrait, selon elle, à disparaître. Si les mesures annoncées par le gouvernement (diminution de 3 % du taux d’encadrement, accès interdit pour les élèves majeurs en décrochage, 7e année non accessible aux détenteurs d’un CESS) concernent principalement l’enseignement secondaire technique et professionnel, les écoles maternelles et primaires se montrent solidaires. « Ça concerne les élèves, donc ça me concerne », lance Anais, institutrice primaire « dans le quartier ». « Ce sont les enfants les plus défavorisés qui vont le plus trinquer. Notre école accueille des élèves qui ont déjà redoublé plusieurs fois en primaire. »
A côté du qualifiant, la fin de la nomination est évoquée comme un autre point de rupture. « On ne va pas se mentir », admet Zineb. « Je ne sais pas encore combien de temps je resterai dans l’enseignement. Donc la nomination n’est pas une fin en soi, mais il faut être solidaire avec tout le monde. » Cette prof de mathématiques au Collège Saint-Jean ajoute : « Pour l’instant, l’entrée dans le métier est super chouette. »
Mobilisation importante
Ce piquet de grève aura rassemblé des dizaines de personnes. Selon les syndicats, une centaine de regroupements a été recensée en Région bruxelloise. Sans compter les grévistes « à domicile ». En Wallonie aussi, la grève a bien été suivie. A Liège, ils seraient 10.000 (3.000 selon la police) à avoir battu le pavé au départ de la place Saint-Lambert. Lisa Corthouts, institutrice primaire à l’institut Saint-Ambroise à Liège, était présente. « Nous sommes tous concernés par ce qui se trame, tous et particulièrement les jeunes », assure cette institutrice. « La nomination dont on veut nous priver apporte tout de même une stabilité. Pas sûr qu’avec les CDI on ne continuera pas à être traités comme des yoyos. Et puis, n’oublions que la fin de la nomination c’est la fin du pot “maladie” et d’une meilleure retraite. »
A ce stade, plein de choses me tracassent
Roxane Debry, Prof d’éducation physique
Pour l’heure, si la ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), a annoncé sa volonté de mettre en place « un contrat à durée indéterminée spécifique pour l’enseignement avec un deuxième pilier de pension, sans perte de droits », aucun texte n’est sur la table. « A ce stade, plein de choses me tracassent », témoignage Roxane Debry, professeure d’éducation physique à l’Institut Sainte-Ursule à Namur. « Mais il y a tellement d’infos qui circulent qu’on ne sait plus toujours distinguer le vrai du faux. Une certitude : la fin de la septième pour les titulaires d’un CESS me scandalise. »
Exclure des élèves ? L’impensable
En grève pour la première fois, Coralie Servais n’a pas manifesté à coups de slogan. Pas son truc. Cette prof de français admet ne pas avoir un passé de grande militante. Elle a donc préféré se réunir avec d’autres collègues pour écrire une lettre à l’intention de Madame Glatigny. « Je n’aime pas le principe de refuser tout en bloc sans rien proposer. A force de tout dénoncer, le grand public risque de penser qu’on crie au loup », dit d’emblée celle qui enseigne au Centre Scolaire Sainte-Julienne Fléron. « J’avais plutôt envie de mettre sur papier des pistes de solution. »
Plusieurs revendications ne sont pas les miennes. Au risque de fâcher certains collègues, je ne suis pas contre la fin de la nomination
Coralie Servais, Prof de français
Jusqu’à présent, l’enseignante ne se retrouvait pas dans les revendications syndicales. Elle dit même avoir hésité. « Plusieurs revendications ne sont pas les miennes. Au risque de fâcher certains collègues, je ne suis pas contre la fin de la nomination. Bien que je comprenne les craintes formulées, le système me semble à revoir », dit-elle. « Le salaire plus élevé, ça ne me parle pas, mais ici il est question d’égalité des chances. »
Après s’être renseignée en profondeur sur les réformes à venir et s’être forgée « son propre avis », elle a voulu marquer le coup. « Je suis en colère sur la façon dont les informations nous arrivent. Sur le qualifiant, les mesures me semblent même dangereuses », pointe cette prof de 33 ans qui a fait le choix de cet enseignement. « Venant d’un milieu privilégié, j’ai découvert un monde qui n’était pas le mien. J’ai parfois face à moi des élèves dont les parents sont malades et qui doivent tout gérer, des élèves retirés de leur famille pour maltraitance. Parmi ces jeunes, forcément, il y en a plein qui décrochent de l’école. Et là, on nous annonce que ces élèves, s’ils sont majeurs, seront exclus du système scolaire. Pour faire quoi ? Le chemin vers la promotion sociale, ils ne le feront pas. Dans l’enseignement obligatoire, les éducateurs les appellent lorsqu’ils ne viennent pas à l’école. »
Et la suite ? Lorsque minuit aura sonné, Coralie Servais ne se voit pas retourner à ses petites habitudes. « J’ai peur que demain tout le monde oublie les élèves du qualifiant. Je me sens mal aujourd’hui, coincée entre un syndicat qui dit NON, et un gouvernement qui dit OUI. Ce que je voudrais, c’est que l’on s’unisse pour construire ensemble. » Même volonté à Namur pour Roxane Debry : « Est-ce que cette journée suffira ? Certainement pas, il faut prolonger les actions, se bouger. Surtout par rapport au qualifiant qui est vraiment menacé. En tout cas, les profs sont soudés, motivés, ça se sent. »
Reportage –
Par Charlotte Hutin (avec E.B) – Le Soir