Alors qu’un colloque se tient ce jeudi sur la pénurie de profs, les derniers indicateurs disponibles sont inquiétants. Entre 2021 et 2023, les nouvelles inscriptions dans les bacheliers pédagogiques ont diminué de 22,6 %.

Entre septembre 2021 et septembre 2023, les filières pédagogiques ont enregistré un recul des nouvelles inscriptions de 22,6 %. – Belga.

Charlotte Hutin
La rentrée 2027, aucun diplômé ne terminera ses études pour devenir instituteur maternel, instituteur primaire ou enseignant du secondaire inférieur. A la seule exception de celles et ceux qui ont pris une année supplémentaire pour terminer leurs études. La réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE), mise en œuvre dès septembre 2023, a fait passer la durée des études de trois à quatre ans. Cette année sans diplômé ne serait qu’un mal à passer si le nombre d’inscrits en début de parcours et de diplômés à l’arrivée était maintenu, voire en augmentation. Il est permis de rêver. Or les premiers signaux sont plutôt inquiétants.
Entre septembre 2021 (soit avant l’entrée en vigueur de la réforme) et septembre 2023*, les filières pédagogiques ont enregistré un recul des nouvelles inscriptions de 22,6 %, faisant passer le nombre de primo-arrivants de 5.610 à 4.340, selon les données communiquées par l’Ares (l’Académique de recherche et d’enseignement supérieur). C’est dans la section 2, qui forme désormais les instituteurs primaires de la 3e maternelle à la 6e primaire, que la baisse est la plus importante (25,7 %). En matière de pénurie de profs, le pire est-il à venir ? Dominique Lafontaine, professeure honoraire à l’ULiège et oratrice lors du colloque sur la pénurie (lire par ailleurs), se montre peu optimiste. « La situation m’inquiète vraiment : je ne vois pas quelle mesure pourrait inverser une tendance qui s’est installée depuis une dizaine d’années. »
La formation comme variable d’ajustement
La RFIE se veut pourtant une réponse parmi d’autres au problème de pénurie. En renforçant la formation, le gouvernement et les directions espèrent attirer un autre profil d’étudiants et réduire la désertion du métier qui survient dans les quelques années après l’entrée en fonction. « Les premiers chiffres dont on dispose me donnent à penser que le pari n’est pas tenu », poursuit l’experte en sciences de l’éducation. « Evidemment, il faut distinguer le nombre d’inscrits et le nombre de diplômés. Déjà avant le passage des études à quatre ans, on observait une diminution du nombre d’étudiants diplômés pour le bachelier instituteur maternelle, ainsi que pour les régents. Seuls les diplômés instituteur primaire restaient relativement stables. »
Pour les futurs enseignants du secondaire supérieur, là aussi du changement. « Tous les acteurs du terrain prédisent un effondrement, pire encore pour le futur master en enseignement offert dans les universités dès 2025 et qui qualifiera les enseignants du secondaire supérieur », soutient Pieter Lagrou, professeur d’histoire contemporaine à l’ULB dans une carte blanche. « Là où nos étudiants sortent actuellement avec la double qualification de chimiste, ou romaniste, ou mathématicien et enseignant, dès 2025, ils devront choisir entre l’un ou l’autre. Tous ceux qui connaissent le marché du travail, les parcours des jeunes enseignants et les préoccupations de nos étudiants savent que, là aussi, le nouveau décret fera le vide. »
En France, Emmanuel Macron a récemment annoncé que le concours pour les futurs enseignants aurait lieu après trois années d’études, et non plus cinq, pour ensuite accéder à un master professionnalisant rémunéré. « On voit que les pays confrontés à la pénurie d’enseignants jouent sur la variable de la formation initiale, sans être certains du résultat. Il faut ensuite plusieurs années pour évaluer dans quelle mesure le système s’ajuste. »
Dévalorisation et climat scolaire
Pour comprendre l’évolution de la pénurie, Dominique Lafontaine s’est penchée sur les données de l’enquête internationale Talis qui porte sur les environnements d’enseignement. « Lors de la dernière enquête, en 2022, 86 % des directions indiquaient que la capacité de leur établissement à fournir un enseignement était entravée par le manque de personnel enseignant. Ce taux était de 56 % en 2015. En 2015, la pénurie était moins importante et se marquait davantage dans les établissements qui étaient fréquentés par un public défavorisé. Quand les enseignants ont le choix, ils ont tendance à fuir les établissements où c’est le plus difficile d’enseigner. En 2022, la situation de pénurie s’est aggravée et on ne trouve presque plus de différences en fonction du type d’établissement. »
Pourtant, l’enquête Talis montre également que le métier d’enseignant suscite toujours une certaine attractivité, de par le sens perçu chez ceux qui l’exercent. « Les enseignants sont globalement satisfaits de leur choix de profession. En revanche, le métier est perçu comme peu valorisé dans la société, particulièrement en communauté française. Il y a un réel nœud autour du climat en classe. » Le maintien de la discipline nécessiterait 20 % du temps scolaire. Une autre difficulté concerne l’entrée en fonction et l’acquisition de l’ancienneté au sein d’un seul pouvoir organisateur, face à l’existence de plusieurs réseaux d’enseignement. « L’une des rares dimensions à laquelle le Pacte d’excellence n’a pas pu s’attaquer », termine Dominique Lafontaine.
Pour Christian Maroy, professeur émérite à l’UCLouvain, le Pacte d’excellence et son modèle de gouvernance pourraient impacter négativement le sentiment d’autonomie des enseignants, à l’image de ce qui s’est produit au Québec. « Il faut évidemment être très prudent en termes de transposition. Ça peut se rajouter à un sentiment plus ancien qui est que le statut de la profession a baissé, que les profs ne sont pas reconnus par la société en général, en tout cas pas suffisamment par rapport à l’investissement fourni. »
Depuis le début de la législature, des dispositions ont pourtant été prises pour endiguer la pénurie : la création d’un pôle d’enseignants remplaçants dans le Hainaut et à Bruxelles, la simplification du décret « titres et fonctions », qui organise l’attribution des places, davantage de mobilité au sein d’un réseau d’enseignement, etc. La ministre de l’Education espère encore présenter un avant-projet de décret au parlement avant la fin de la législature. Il contient quelques mesures complémentaires. « Il s’agit de la mise en place d’un statut d’expert dans l’enseignement obligatoire, à l’instar de ce qui existe en promotion sociale, la prolongation du pôle de remplacement ainsi que les aménagements visant à simplifier la passation des jurys CAP (le certificat d’aptitude pédagogique), notamment pour les candidats et candidates déjà en fonction », détaille le cabinet de Caroline Désir (PS). Il y a fort à parier que le prochain gouvernement devra intensifier les efforts.
*La comparaison de l’Ares s’est réalisée à partir de bases de données différentes. Pour l’année 2021-2022, le nombre d’inscrits a été mesuré à la fin de l’année académique. Pour l’année 2023-2024, la mesure a été prise en octobre dernier.
À l’ULB, un colloque dédié à la pénurie de profs
Par Charlotte HutinL’Université libre de Bruxelles, à travers sa plateforme E.COL.E (pour Expérience collective pour l’enseignement), organise un colloque dédié à la pénurie d’enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles. Intitulé « De la pénurie à la prévention : les défis des métiers de l’éducation », il se déroulera ce jeudi sur inscription préalable. Un événement qui a pour objectif de faire interagir les acteurs et actrices de terrain autour de problématiques concrètes et d’actualités. Il sera suivi d’un débat politique sur les enjeux en matière d’éducation.