D’après la Constitution, l’accès à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire. En Communauté française, une législation précise le prescrit constitutionnel. Or, selon la Ligue des familles qui a eu accès aux rapports de l’inspection sur le sujet, les entorses sont légion.
Le sujet s’est (ré)invité à la table du gouvernement dès la rentrée de fin août : sous la pression des directions d’écoles, la ministre Valérie Glatigny (MR) avait suspendu les missions d’inspection chargées de surveiller le respect de la législation sur les frais scolaires dans les écoles. Il s’agissait de soulager les directions de ces soucis à une période de l’année où la charge administrative est décuplée. Pour l’heure, ces missions n’ont toujours pas repris. En revanche, la Ligue des familles a mis la main sur les rapports d’inspection des trois dernières années et compilé les remarques les plus fréquemment adressées aux écoles. Ils concernent 2.218 écoles sur les 2.661 que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Gratuit jusqu’en troisième primaire
Pour mémoire, la législation sur la gratuité d’accès à l’enseignement obligatoire et les frais scolaires est relativement complexe tant elle varie en fonction des années fréquentées. Faisons simple et rappelons qu’en maternelle et dans les trois premières années du primaire, aucuns frais ne peuvent être demandés pour du matériel scolaire ; l’école reçoit d’ailleurs une subvention supplémentaire de 54 euros par an en maternelle et 75 en primaire pour financer la mesure. Elle peut toutefois demander aux parents de fournir un cartable, un plumier, un équipement de sport… Elle peut aussi solliciter une participation aux frais pour des excursions et voyages scolaires, l’entrée à la piscine, des achats groupés de fournitures, les frais de garderie… En secondaire, elle peut demander que l’élève soit doté d’un ordinateur mais ne peut pas l’exiger. Le tout doit être annoncé en début d’année et la facture peut être soumise à fractionnement si elle dépasse les 50 euros… Par contre, la gratuité du matériel scolaire s’arrête aux portes de la quatrième. Une gratuité toute relative puisque ce qui est offert aux parents est en réalité à charge de la collectivité francophone : ainsi, étendre le système aux élèves de 4e primaire à partir de septembre 2025 coûterait 4 millions au budget francophone. Pour l’heure, le nouveau gouvernement suspend sa décision à une évaluation de la politique en la matière.
En attendant, que dit le rapport des inspecteurs ? Que seul un bon quart des écoles (28 %) respecte scrupuleusement la loi sur le sujet. Qui plus est, dans le secondaire, ce chiffre descend à 16 %. Que leur reprochent-ils exactement ? D’abord et avant tout de ne pas respecter l’esprit des décomptes périodiques : tous les frais doivent être annoncés en début d’année et facturés trimestriellement, mais certaines écoles sortent des clous à ce sujet. Par ailleurs, un bon quart des établissements (27 %) omet de signaler aux parents le caractère « facultatif » de certains frais comme l’abonnement à une revue ou la participation à des voyages scolaires ; en secondaire, cette part monte à 35 %… Même souci avec les achats groupés de matériel présentés comme obligatoires dans une école primaire sur huit et une école secondaire sur cinq. En secondaire toujours, dans une école sur trois, l’acquisition d’un ordinateur est réputée être obligatoire alors que c’est illégal. Les établissements du qualifiant ne sont pas en reste, eux qui, dans deux cas sur trois, mettent des équipements de protection individuelle à charge des parents.
Une attention aux moins favorisés
La législation sur la gratuité d’accès à l’enseignement obligatoire et les frais scolaires s’intéresse aussi aux familles moins favorisées. Ainsi, les parents doivent pouvoir solliciter un échelonnement des factures portant sur les frais obligatoires ou facultatifs dès qu’elles atteignent la barre symbolique de 50 euros. « Or », précise Merlin Gevers, chargé d’études pour la Ligue des familles, « 36 % des écoles primaires et 41 % des écoles secondaires ne mentionnent pas les facilités de paiement qu’elles sont pourtant légalement obligées de proposer. » De plus, alors que la législation l’interdit totalement, dans plus d’une école sur six, l’argent doit être amené en classe par l’élève et est collecté par l’enseignant. « Cette pratique entraîne fréquemment une stigmatisation des enfants de milieux précaires devant leurs condisciples lorsqu’ils arrivent la main vide parce que leurs parents n’ont pas pu fournir la somme demandée. La pratique se retrouve un peu plus dans l’enseignement fondamental (18 %) que secondaire (15 %). »
Notons finalement que sur la question stricte de la gratuité des fournitures (en maternelle et dans les trois premières primaires), l’immense majorité des écoles adhère au système : non seulement, elles apprécient la formule pour ses conséquences sur l’égalité des chances et la standardisation de l’accès à du matériel neuf mais, en plus, elles respectent strictement l’esprit et la lettre de ce point précis de la loi.
Mais, pour la Ligue des familles, ce bel arbre cache une forêt d’infractions : « Les rapports de l’inspection montrent que les écoles commettent massivement des manquements substantiels au respect de la loi. Ceux-ci génèrent d’importants problèmes pour les parents et les enfants, a fortiori les plus défavorisés. Sur ce constat, pérenniser ces missions, les renforcer et agir pour faire respecter la loi nous semble une évidence. » Et d’appeler le gouvernement à se saisir en urgence de ce dossier.
Info « Le Soir » – Chef du pôle Société
Par Eric Burgraff