Toujours plus nombreux dans les écoles, les enseignants de seconde carrière sont aussi plus à risque de quitter le métier précocement. Parmi les facteurs qui contribuent à leur motivation, Estelle Desablens (UMons) lauréate du prix Maystadt, évoque le soutien des collègues, le sentiment d’utilité… et la nomination.
omment faire en sorte que les enseignants du qualifiant, en particulier ceux qui intègrent l’école après une première expérience professionnelle, persistent dans la fonction ? C’est la question à laquelle a voulu répondre Estelle Desablens, fraîchement diplômée d’un master en sciences de l’éducation (UMons) et lauréate du prix Philippe Maystadt (lire par ailleurs). Un sujet « d’une actualité brûlante », a pointé Sébastien Van Drooghenbroeck, le président du jury.
D’abord, ce mémoire s’inscrit « dans un contexte d’inquiétude grandissante au sujet de la pénurie d’enseignants », note son autrice. Face au manque d’enseignants disposant d’un titre pédagogique, « les politiques éducatives préconisent désormais l’élargissement des viviers de recrutement en permettant l’accès à la fonction à des individus issus d’autres secteurs professionnels et ne disposant pas, pour la plupart, de formation pédagogique ». Ce sont eux que l’on désigne par le vocable « enseignants de seconde carrière ». Depuis 2013, ils sont plus nombreux à entrer dans le métier de prof que les « enseignants de première carrière ». Or, ils sont aussi les plus à risque d’abandonner précocement la profession : 49,6 % dans les cinq premières années, contre 30,9 % pour les profs de première carrière. « Pourtant, ils peuvent apporter une plus-value de par leurs expériences professionnelles antérieures, surtout dans l’enseignement qualifiant avec des jeunes qui veulent se former à l’exercice d’un métier. »
Ensuite, parce que ce travail de recherche s’inscrit dans un contexte social très tendu. En raison notamment des récentes mesures budgétaires prévues dans l’enseignement qualifiant (suppression de la 7e année technique, réduction de 3 % du taux d’encadrement…), plus de 30.000 personnes – surtout des enseignants – ont manifesté dans les rues de Bruxelles en début de semaine. « L’enseignement secondaire qualifiant ne doit pas être relégué au second plan », avance à tâtons Estelle Desablens. « Des enseignants au parcours plus traditionnel vont peut-être moins se diriger vers ce niveau d’enseignement. Il peut y avoir une méconnaissance, des idées reçues, ce qui explique la présence plus importante d’enseignants de seconde carrière dans ces filières. »
Difficile insertion professionnelle
Que dit cette recherche qualitative menée auprès de 18 enseignants de seconde carrière titularisés dans leur fonction ? « L’insertion professionnelle est difficile et deux tâches sont particulièrement ardues : la gestion de la classe et la préparation des cours », résume Estelle Desablens. « La plupart des personnes interrogées considèrent avoir été livrées à eux-mêmes pour comprendre le fonctionnement du secteur. La formation pédagogique fait défaut. Celle-ci peut être obtenue via le CAP (Certificat d’aptitudes pédagogiques), mais cela un investissement très important. »
A ces difficultés s’ajoute la précarité de leur statut lors de leur entrée en fonction. « Certains ont quitté un emploi stable et bien rémunéré dans le privé pour le métier d’enseignant qui peut s’avérer très instable et moins bien rémunéré, surtout lorsqu’on ne dispose pas encore de titre pédagogique. » Dans le cadre du budget 2025, le gouvernement a investi 3,5 millions d’euros pour augmenter les salaires de professionnels (valorisation jusqu’à 7 années) qui souhaitent se reconvertir dans des fonctions en pénurie de l’enseignement.
Sources de motivation
Pour autant, toutes et tous ont persévéré et se sont maintenus dans la profession. Parmi les facteurs intrinsèques, on retrouve : l’acquisition d’un sentiment de compétence professionnelle, la reconnaissance dans le milieu du travail lié à l’expérience professionnelle antérieure, le contact humain avec les jeunes et le sentiment d’utilité.
Du côté des facteurs externes garantissant la motivation, les enseignants mettent en évidence : les relations avec les collègues, les conditions d’emploi qui assurent une qualité de vie et l’obtention de la nomination donnant une sécurité d’emploi. « Ils ne doivent plus se demander s’ils vont devoir trouver un autre emploi à la fin de l’année. »
Depuis la fin de ses études, Estelle Desablens a entrepris une thèse de doctorat qu’elle compte bien mener autour de son thème de prédilection : les enseignants de seconde carrière. « Il faudrait revoir l’insertion professionnelle, c’est-à-dire les premières années d’exercice, avec des dispositifs d’accompagnement et de soutien spécifique tenant compte de leur âge et leurs expériences antérieures. » La ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), aurait déjà demandé à lire son premier travail de recherche.