Ce qui me pousse à me mobiliser pour la seconde fois en 19 ans de carrière, c’est un profond sentiment d’injustice suite aux récentes mesures prises par le gouvernement. » Professeure de français à l’Institut Saint-Boniface d’Ixelles, Aurélie Praet a fait sa première grève « par solidarité » l’an dernier, à la suite des économies annoncées dans l’enseignement qualifiant. Ce lundi 10 novembre place Surlet de Chokier à Bruxelles, devant le siège du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), l’enseignante dans le degré secondaire supérieur dénonce principalement le passage de 20 à 22 périodes.
« Quelle autre profession accepterait de travailler 10 % de plus sans être payé ? », questionne-t-elle. « Le politique se complaît de transmettre à l’opinion publique qu’il s’agit seulement de deux heures supplémentaires, mais ce sont deux heures de conférence. A côté de ça, il y a le temps de préparation, toutes les corrections, le suivi des élèves à travers les conseils de classe et les activités que nous mettons en place pour les élèves. Je fais trois sorties au théâtre par mois en soirée. Ce sont des activités sur lesquels nous allons devoir faire l’impasse par fatigue, par manque de temps et oserais-je dire par manque de motivation. »
Comme Aurélie, plus d’un millier d’enseignants se sont rassemblés ce lundi matin place Surlet de Chokier. Des élèves étaient également présents pour dénoncer les réformes portées par la ministre de l’Education Valérie Glatigny (MR). Pour cet appel du front commun syndical, pas de manifestation, mais des actions aux quatre coins de la Communauté française. Les syndicats dénoncent des mesures d’austérité telles que la réduction du budget dédié à la gratuité, l’augmentation de la charge horaire sans rémunération supplémentaire pour les enseignants du secondaire supérieur ou encore l’augmentation du minerval.
A la CSC-Enseignement, Fabrice Pinna, permanent régional du syndicat chrétien, pointe une réforme menée « sans réelle concertation ». « Contrairement à ce qui se raconte, ce n’est pas un jour de congé, c’est un jour de grève. On est au début du combat. Quand elle (Valérie Glatigny, NDLR) ajoute deux heures aux enseignants du degré supérieur, elle ne se rend pas compte que ce sont des élèves en plus, des parents en plus, des réunions en plus. Cela fera 1.500 postes en moins », affirme-t-il.
« Les enseignants sont méprisés »
Parmi les actions locales, citons un cortège dans les rues de la Cité Ardente qui s’est terminé devant l’Opéra royal de Wallonie, une invitation à « une veillée funèbre symbolique en hommage à l’enseignement » à Namur ou encore des piquets de grève à Tournai. A Bruxelles, la mobilisation a pris une dimension symbolique avec le dépôt d’une gerbe de fleurs au pied de la statue de la Brabançonne, « en mémoire des collègues sacrifiés par les mesures décidées par le gouvernement », expliquent les organisateurs.
Pour Cédric, professeur d’histoire et de religion, présent place Surlet de Chockier, l’enseignement est de plus en plus méprisé par les pouvoirs publics. « Avec la révision du tronc commun, c’est comme si on avait fait travailler les enseignants pendant des années pour ensuite faire marche arrière. » Cet enseignant qui travaille dans le degré inférieur et supérieur a encore très peu d’informations quant à son avenir. « Je travaille déjà 24 périodes, donc un temps plein et deux heures de plus pour des raisons organisationnelles. Comme j’ai quelques heures dans le supérieur, mais que la majorité de mes heures sont dans l’inférieur, je ne sais pas si je vais être impacté par les nouvelles dispositions. Les chefs d’établissement sont dans le même désarroi. Après la grève nationale du 14 octobre, le soutien de notre direction s’est concrétisé par sa présence aujourd’hui. »
Aux alentours de 10h30, les manifestants se sont dirigés vers le boulevard pour bloquer la circulation, avant de faire route vers Saint-Josse.
Un climat social tendu
Cette journée de grève s’inscrit dans un climat social tendu, marqué par plusieurs mobilisations cette dernière année, mais aussi sous la précédente législature. « Depuis des années, un train de mesures touche continuellement l’enseignement », créant « une charge mentale terrible », déplore Hugo Lejeune, permanent régional SLFP-Enseignement. Selon lui, le rapport d’experts présenté par le gouvernement « a servi d’argument d’autorité », poussant le syndical libéral à rejoindre à son tour le front commun, après avoir, en vain, tenté d’influer sur les négociations.
La ministre de l’Education a, de son côté, rappelé à nos confrères de Sudinfo les difficultés financières auxquelles est confrontée la Fédération. « Les parents peuvent être inquiets de ce qu’ils entendent. Mais il faut dire les choses : nous ne sommes plus, aujourd’hui, en capacité financière de répondre aux défis de l’école. Sur les huit milliards consacrés à l’Enseignement, 85 % vont aux paiements des salaires. Un salaire de professeur sur cinq est payé par de l’emprunt. Ce n’est tout simplement pas tenable. »
Les syndicats invitent déjà les enseignants à se mobiliser à nouveau lors de la grève nationale des 24, 25 et 26 novembre prochain.

