La taille des classes fait-elle la différence en termes d’apprentissages ? Alors que certains n’y croient pas – y compris dans l’enseignement –, le mouvement « Changement pour l’égalité » lui donne le statut de mesure la plus efficace pour réduire les écarts d’apprentissage.

uel est le nombre idéal d’élèves dans une classe ? Un professeur de langues en secondaire supérieur témoigne : « Réduire la question à la taille des classes est un faux débat. Il y a d’autres facteurs : lien avec la taille du local, avec le moment de la journée, avec la façon de travailler… Cela dépend aussi du profil des élèves : une classe de 27 avec onze élèves qui ont des troubles, dont trois en intégration, c’est compliqué. Ou de la taille du local : s’il est grand, il permet de travailler en îlots, avec une bonne dynamique pédagogique… »

Ce témoignage illustre, avec une quinzaine d’autres, le dossier « Quel débat sur la taille des classes ? » (1) produit par « Changements pour l’égalité » (CGé), un mouvement d’éducation permanente qui lutte contre les inégalités scolaires. En une quarantaine de pages, il démonte les idées reçues sur le sujet. Il explique combien cette donnée peut parfois servir de variable d’ajustement budgétaire (un élève par classe en plus ou en moins a un vrai effet sur le volume de l’emploi) et pédagogique (le nombre d’élèves par enseignant impacte la qualité des apprentissages). Il raconte surtout combien cette donnée n’est qu’une pièce, importante certes, d’un puzzle complexe.

Moritz Lennert, secrétaire général de CGé, est coauteur de la publication, avec Alice Romainville et Laurent Divers. Il explique au Soir les principaux enjeux de la taille des classes.

Un élève en plus ou en moins… ça peut changer beaucoup de choses. Mais la taille des classes ne dépasse-t-elle pas les calculs mathématiques ?

Certainement. Ce qui semble de plus en plus évident, à la lecture d’études récentes sur le sujet, c’est que la taille des classes fait partie d’un ensemble de processus. Il est donc difficile de la considérer comme une variable isolée dans une équation. Un exemple : si on réduit la taille d’une classe mais qu’on continue à donner cours de façon tout à fait frontale, l’investissement consenti n’aura pas beaucoup d’effet. L’impact de la « taille des classes » est aussi influencé par des conditions matérielles, comme l’espace, les aides disponibles, le parcours de l’élève, etc. On voit très bien dans l’ensemble des études – surtout celles qui privilégient l’observation sur le terrain – que la taille du groupe a une influence très forte sur les interactions enseignants/élèves, et donc sur l’engagement de l’élève dans son apprentissage.

Le seul ratio élèves/professeurs n’a donc guère de sens ?

Certaines études abordent la question de façon simpliste : quand on compare de manière isolée « taille des classes » et « résultats », on voit apparaître toute une série de biais. L’exemple type, ce sont les conclusions tirées des analyses Pisa. On ne sait pas, par exemple, si la répartition des élèves est tout à fait aléatoire ou si on a regroupé les élèves en difficulté dans les plus petites classes. Ce dernier point pourrait expliquer pourquoi certaines études arrivent à la conclusion que les plus grandes classes sont les plus performantes. On cite souvent le ratio « nombre d’enseignants/nombre d’élèves », mais pour une même équation, on peut avoir des tailles de classes très différentes : selon l’OCDE, le ratio officiel de quinze élèves de primaire pour un enseignant cache des réalités bien différentes : 19 élèves par enseignant réellement actif en Suisse, 21 en Allemagne et 27 au Japon (l’OCDE retient le ratio de 11 en Belgique mais ne dispose pas des données pour définir la taille réelle des classes). En fait, tout dépend de l’organisation du système, par exemple du nombre d’enseignants détachés à des tâches hors classe, de la répartition des élèves dans les options ou des temps de remédiation en petits groupes. Retenons que quand on prend en compte des études avec vérification sur le terrain, l’impact d’une taille de classe réduite est incontestable. C’est d’autant plus clair chez les plus jeunes – en fin de maternelle et début de primaire – et chez les élèves les plus en difficulté, donc ceux qui sont les plus éloignés des codes scolaires.

Quel mécanisme est alors à l’œuvre ?

Le facteur le plus important, c’est l’interaction avec l’enseignant et l’engagement dans la matière. On observe clairement que dans les classes les plus petites, les élèves sont beaucoup plus investis que dans les classes les plus grandes ; de plus, l’enseignant aura davantage l’opportunité de connaître les élèves, et donc d’adapter sa pédagogie. Un élément qui ressort également des recherches est l’importance du feedback immédiat dans la qualité des apprentissages, ce qui est évidemment beaucoup plus aisé dans un petit groupe. Enfin, il y a la posture de l’enseignant : si à l’occasion d’un passage d’une classe de trente à quinze élèves, il ne change rien à son approche pédagogique, l’impact ne sera pas nul, mais évidemment réduit. Les observations montrent par exemple que dans les plus grandes classes, les enseignants passent proportionnellement plus de temps à de la discipline au détriment du contenu et de pratiques pédagogiques clairement identifiées comme étant plus efficaces pour l’apprentissage.

Quelles recommandations pouvez-vous adresser au monde politique en sachant que la situation financière impose des choix ?

Chez « Changement pour l’égalité », notre objet de travail, ce sont les inégalités. Nous préconisons donc d’investir prioritairement dans les écoles qui scolarisent les enfants les plus éloignés des codes scolaires en diminuant la taille des classes et en augmentant le nombre d’enseignants. Si le nombre de locaux n’est pas suffisant – c’est une autre partie de l’équation –, alors on peut mettre deux enseignants dans une même classe, c’est-à-dire faire du co-enseignement, mais il faut savoir que ça ne s’improvise pas. Bref, notre revendication est assez claire : mettre les moyens de façon ciblée dans les écoles qui sont aujourd’hui considérées en encadrement différencié. Et s’il faut aller plus loin, nous plaidons pour cibler massivement les premières années, c’est-à-dire les élèves de troisième maternelle, première et deuxième primaires.

Diminuer la taille des classes, c’est vraiment l’approche la plus systémique pour améliorer le niveau d’apprentissage. Ça semble aussi être la mesure la plus prometteuse pour réduire le grand écart d’apprentissage entre les enfants issus de milieux populaires et les autres. De plus – et ça, c’est bonus –, cela contribue au bien-être des enseignants.

Renforcer l’accompagnement personnalisé

Par Eric Burgraff

Hasard du calendrier, le PS défendra ce lundi, en commission, sa proposition de résolution visant à renforcer les périodes dédiées à l’accompagnement personnalisé dans l’enseignement fondamental.

Le Soir le révélait en décembre dernier, selon le Centre de recherche en économie régionale et politique économique de l’UNamur, d’ici la fin de la législature, il y aura près de 2.400 enseignants en moins, pour la plupart dans le primaire et le maternel. Point de mesure politique là-dessous, c’est la dénatalité observée ces dernières années qui influencera à la baisse la fréquentation des écoles. La nouvelle est de nature à panser un budget francophone en souffrance et/ou à atténuer la pénurie de professeurs.

De son côté, le PS propose d’utiliser cette force de travail pour renforcer l’accompagnement personnalisé, donc réduire la taille des classes. « Le nombre d’équivalents temps plein affectés à ces tâches serait ainsi doublé sans engager de coûts supplémentaires par rapport aux moyens actuellement dédiés au salaire des enseignants », estime le chef de groupe PS, Martin Casier.