Un changement de statut des enseignants induira en principe un changement de régime des pensions. Avec des conséquences importantes, tant sur le portefeuille des enseignants que sur les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Explications avec Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques à l’ULB.

Les enseignants ont récemment manifesté pour réclamer, entre autres choses, le maintien de leur statut et de leur régime de pension. Un changement à cet égard pourrait entraîner une perte sèche pour les enseignants, mais aussi rendre impayable une réforme en ce sens pour la FWB. ©DLE
Depuis la communautarisation de l’enseignement, entrée en vigueur le 1er janvier 1989, c’est la Communauté française (ou Fédération Wallonie-Bruxelles de son nom usuel) qui détermine, librement, le statut administratif et pécuniaire du personnel relevant de sa compétence.
Contribution
Toutefois, en matière de pensions, ce personnel est resté soumis aux dispositions légales et statutaires d’application pour le personnel définitif, temporaire et auxiliaire de l’État fédéral, tel que prévu par la loi spéciale du 9 août 1980 sur les réformes institutionnelles (art. 87, § 3). Autrement dit, les pensions des enseignants sont restées budgétairement à charge de l’autorité fédérale.
Au cours des dernières années, plusieurs réformes ont cependant créé un mécanisme de responsabilisation des entités fédérées en matière de pensions.
“Avec la sixième réforme de l’État, on a instauré un taux de contribution progressif pour les entités fédérées, de sorte que celui-ci atteigne 8,86 % de leur masse salariale respective en 2028, explique Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques au Département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles (DULBEA). Un tel taux ne permet de financer qu’une petite partie des pensions des fonctionnaires (y compris des enseignants) des entités fédérées. C’est dont l’État fédéral qui paye la plus grande partie.“
La FWB verse à l’État fédéral un taux de contribution progressif mais limité en échange de sa prise en charge des pensions des fonctionnaires communautaires.
En remplaçant le régime statutaire des enseignants par un régime de contrats de travail, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) modifierait donc également celui de leurs pensions, celles-ci basculant alors du régime réservé aux fonctionnaires à celui propre aux salariés.
Surcoût
Le financement de ces pensions engendrera inévitablement un surcoût pour la Fédération. Et pas n’importe lequel…
“Ce ne sera plus l’État qui payera les pensions, mais la Fédération Wallonie-Bruxelles à travers des cotisations sociales beaucoup plus élevées, voire un plan de pension du second pilier, soutient Maxime Fontaine. Or, on parle à terme de montants en milliards d’euros pour égaler le niveau des statutaires!“
On parle à terme de montants en milliards d’euros pour égaler le niveau des statutaires!
Le chercheur développe : “En 2024, les dépenses de personnel dans l’enseignement (hors enseignement supérieur) sont de 6,8 milliards d’euros. Par tranche de 15 % de cotisations supplémentaires, cela fait donc 1 milliard par an… L’idée est que, si on veut garder les mêmes avantages pour les futurs contractuels que pour les statutaires actuels, il faudra augmenter les cotisations sociales pour financer les pensions dans le régime salarié (elles sont en moyenne de 25 % pour les cotisations patronales et de 13,07 % pour les cotisations personnelles, NDLR) et financer un second pilier pour financer la différence avec la pension des fonctionnaires qui est beaucoup plus élevée. Lorsque tous les travailleurs seront des salariés (et que le fédéral ne paiera donc plus rien), l’impact sera assurément en milliards à politique inchangée“.
Et du côté du cabinet de la ministre, on l’assure : “Nous serons attentifs à ce qu’il n’y ait pas de pertes de droits. Une réflexion sera menée pour que le CDIE soit accompagné d’un deuxième pilier de pension, entre autres droits“.
Réflexion
La ministre Glatigny se montre toutefois prudente : “Des travaux budgétaires sont en cours, mais la différence de coût peut dépendre de multiples éléments, en ce compris la forme juridique qui sera retenue pour le CDI Enseignants“. Et précise : “Plusieurs éléments ajoutent mais également retirent des coûts à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il faut également prendre en compte le fait que la diminution de la démographie aura un impact à la baisse sur le coût total de nos enseignants, en parallèle de la mise en place du CDIE“.
Des travaux budgétaires sont en cours, mais la différence de coût peut dépendre de multiples éléments, en ce compris la forme juridique qui sera retenue pour le CDI Enseignants.
Quoi qu’il en soit, un compromis avec le fédéral qui consisterait, par exemple, à maintenir les enseignants dans le giron fédéral tout en les maintenant sous une forme temporaire et limiter ainsi le surcoût à charge de la FWB n’a que peu de chances d’aboutir.
“À mon avis, il est utopique de penser qu’un accord pourra être trouvé avec le fédéral. Nous sommes dans un fédéralisme concurrentiel. Il n’y a aucune raison que le fédéral fasse un geste en faveur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Surtout dans le contexte budgétaire actuel“, souligne Maxime Fontaine. Qui conclut : “Une réforme des pensions, ça dure 50 ans. Et ça se prépare sur dix ans. Je rappelle en outre que la Fédération n’a pas de capacité fiscale propre : si ça dérape, on ne sait rien faire. À part une réforme de l’État qui transférerait les pensions (et les moyens, NDLR) aux entités fédérées, je ne vois pas comment un tel changement serait supportable“.
À part une réforme de l’État qui transférerait les pensions aux entités fédérées, je ne vois pas comment un tel changement serait supportable.
Romain Veys Journaliste – La Libre