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Fin de la nomination, prestation de missions supplémentaires… L’accord de gouvernement francophone prévoit de chambouler le monde de l’école, en particulier les profs. L’objectif, pour la ministre-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles : avoir un enseignant devant chaque classe. 

EntretienPar Charlotte Hutin et Julien Thomas 

 

L’accord de gouvernement à peine présenté, les syndicats sortaient de leur réserve pour dénoncer la fin de la nomination à vie dans l’enseignement. En poste depuis quelques jours, la nouvelle ministre-présidente de la Fédération demande aux syndicats de laisser aux ministres francophones « le temps de prendre leurs marques et de les rencontrer ». On verra ensuite pour d’éventuelles mobilisations sociales. A côté de son rôle de chef d’orchestre de la FWB, Elisabeth Degryse assurera la tutelle sur l’enseignement supérieur.

Votre gouvernement prévoit de mettre fin à la nomination des enseignants. Pourquoi ?

L’objectif n’est pas juste d’embêter des enseignants, mais de répondre à la pénurie. Aujourd’hui, les jeunes enseignants ne font que des petits bouts de chandelles à gauche, à droite et puis ils arrêtent. Ils ou elles doivent attendre une certaine date pour savoir si leur contrat sera renouvelé. Ils ne sont jamais sûrs d’enseigner dans la même école l’année suivante. Cette instabilité en début de carrière décourage beaucoup de nouveaux enseignants. Un enseignant nommé qui ferait autre chose peut bloquer un poste pendant de nombreuses années. Personne ne peut être nommé à sa place. Ça veut aussi dire qu’il n’est remplacé qu’entre fin août et début juillet. Mais tout cela sera fait en concertation, on ne va rien imposer.

Il est aussi question de deux heures de travail en plus pour les CDI, de mettre fin à la revalorisation automatique pour les titulaires d’un master en sciences de l’éducation. Ce sont des mesures purement budgétaires ?

Je ne pense pas que ce soient des mesures purement budgétaires. La question est : comment faire en sorte qu’il y ait plus de temps consacré à l’enseignement ? On proposera effectivement aux personnes qui ont un barème 501 des tâches supplémentaires pour pouvoir être rémunérées. On n’a pas défini une liste de tâches. De nouveau, ce sera en discussion avec le secteur et on verra si c’est réaliste. Notre volonté est bien d’avoir un enseignant devant chaque classe et pour ça, on pense qu’on doit travailler sur tous les leviers potentiels. Une autre mesure vise à faciliter les heures supplémentaires si les enseignants sont volontaires. Lorsqu’un enseignant est absent, si un autre enseignant est d’accord de faire quelques heures en plus, pourquoi pas.

Comment éviter une révolution sociale ?

« Révolution sociale », carrément. Tout d’abord, Madame Glatigny, ministre en charge de l’Enseignement obligatoire, a déjà rencontré les syndicats cette semaine. Ensuite, je ne sais pas dans quelle langue je dois le répéter, mais il faut nous permettre de discuter avec les acteurs. Je demande aux syndicats de nous laisser le temps de prendre nos marques et de les rencontrer.

Vous êtes prête à accepter le risque de grève ?

Une fois qu’on a travaillé, si on est en désaccord et que la grève est un moyen d’exprimer ces désaccords, je n’ai aucun problème avec ça, mais je voudrais qu’on fasse les choses dans l’ordre. Je ne dis pas que l’on va être d’accord sur tout. C’est inévitable pour des réformes aussi ambitieuses et aussi fondamentales. Je préfère que des désaccords se travaillent autour d’une table. Je voudrais surtout une législature de la confiance et de l’écoute. Je pense que ça se construit, ça ne se décrète pas.

Autre changement de taille : la révision du Pacte d’excellence et du tronc commun jusqu’à 15 ans.

On ne remet pas du tout en cause le Pacte. L’idée était d’élargir le tronc commun jusqu’en fin de troisième secondaire, on reste bien là-dessus. Plutôt que d’avoir un programme 100 % tronc commun, on va y mettre des activités orientantes. Mais la majorité des cours de troisième, ce sera du tronc commun. On parle simplement d’un socle allégé par rapport à ce qui était prévu initialement. On est bien conscients que le tronc commun jusqu’à 15 ans, c’est important pour réduire les inégalités. Maintenant, on doit bien reconnaître qu’une partie des jeunes savent déjà très bien ce qu’ils veulent faire et donc, leur dire à 14 ans qu’ils doivent encore faire un an complet de tronc commun, ça peut être lourd pour eux. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui ne savent pas du tout. Les activités orientantes visent à répondre à ces situations. Des activités de quel type ? Plutôt du type accompagnement au choix, à la réflexion. Plus que ça, je ne sais pas vous dire. Les experts feront les référentiels en accord avec le terrain. Mais il n’y aura pas de choix d’options, ce sera la même troisième année pour tout le monde.

La DPC prévoit deux filières différentes pour l’après-tronc commun. L’une qui donnerait accès à l’enseignement supérieur, l’autre sous conditions. L’idée, c’est quand même de mettre fin au libre accès ?

Non. Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? Je pense que c’est de nouveau une interprétation du texte. Ce n’est pas notre volonté de limiter l’accès à l’enseignement supérieur. Notre volonté, c’est que chacun puisse trouver son parcours et le réussir. Quand on dit qu’on veut sortir de l’enveloppe fermée, c’est précisément pour mieux financer chaque étudiant. Donc, on est plutôt très au clair là-dessus ; on veut garder cette universalité d’accès à notre enseignement supérieur.

Vous avez la tutelle sur l’enseignement supérieur. Concernant la finançabilité, à quelle sauce seront mangés les étudiants l’an prochain ?

Vos questions me font sourire. Comment voulez-vous que je vous réponde ? Ça fait deux jours que je suis ministre-présidente, c’est quand même toujours un peu particulier d’être acculée de questions super concrètes. La DPC est claire. Elle dit « on va travailler avec le secteur » pour faire en sorte, et c’est notre volonté, de renforcer la notion d’année d’étude. On cite d’ailleurs le décret Glatigny. Toute piste sera étudiée pour répondre aux enjeux de réussite, d’accompagnement. Il y a aujourd’hui beaucoup trop d’étudiants qui ratent. En dehors de toutes les questions de financement, humainement parlant, c’est terrible. La solution à apporter se trouvera en concertation avec les secteurs. Notre volonté est de le faire rapidement pour apporter de la stabilité.