Alors que le mois de janvier s’annonce chaud sur le plan social dans les écoles, Valérie Glatigny sort du bois. Elle assume les économies à tous les étages – pas seulement dans l’enseignement – et assure ne faire qu’exécuter le Pacte de 2017. Elle ouvre cependant sa porte au dialogue.
Le doigt désigne un épais rapport : « Pacte pour un enseignement d’excellence ». « Tout est là », indique Valérie Glatigny, ministre MR de l’Education. « Toutes les mesures contestées aujourd’hui sont dans le Pacte signé en 2017. Ce n’est pas moi qui ai écrit ce texte. Ni mon parti, ni les autres partis politiques. Les auteurs sont les syndicats, les fédérations de pouvoirs organisateurs et les associations de parents. » Chahutée dans la rue, au parlement et sur les réseaux sociaux pour avoir initié une nouvelle réforme du qualifiant, la ministre reprend l’initiative. Pour Le Soir, elle analyse la séquence actuelle et fait quelques propositions.
En quelques mois, vous avez déjà parcouru du chemin… semé d’embûches…
Euh, on nous considère comme responsables de tout alors que nous ne sommes là que depuis cinq mois. Pourtant nous avons déjà bossé : interdiction de l’usage récréatif du smartphone en classe, une semaine de congé en commun avec les autres communautés, un test pour vérifier les acquis en troisième primaire, choc de simplification administrative. Sans compter toute une série de politiques nouvelles. Mais je ne suis pas sourde, je suis consciente qu’un grand émoi existe autour des économies dans le qualifiant. A ce propos, l’impression que le monde de l’enseignement est le seul ciblé est erronée : la sobriété budgétaire touche tous les secteurs, à commencer par les cabinets. J’ai deux messages à ce stade : on va garder le cap des réformes du Pacte mais ma porte reste ouverte pour discuter des modalités de mise en œuvre. Je consulte énormément car ma volonté est de comprendre les raisons profondes de la colère.
Et qu’est-ce qui vous revient ?
Premier constat : il y a une remise en cause de la méthode de concertation du monde enseignant. Et ça ne date pas de mon arrivée. En 2022, un syndicaliste assurait dans un courrier du Crisp : « On n’a plus connu une telle crise depuis les années 90. » Or, j’entends la même chose aujourd’hui. Ce n’est évidemment pas du bluff, cela reflète une fatigue de terrain et une remise en cause de la méthode de concertation autour du Pacte. D’ailleurs, il y a deux ans, quatre syndicats ont quitté le comité de concertation du Pacte. Je pense vraiment qu’il nous faut, ensemble, trouver de nouveaux canaux de communication. Je demande aux acteurs, et singulièrement aux syndicats, de me faire des propositions. C’est une occasion unique d’influencer les décisions bien en amont du gouvernement. Second constat, nous sommes à mi-chemin du Pacte. Les premières années, il y a eu de belles annonces, on a créé 400 équivalents temps plein supplémentaires, on a mis 300 millions sur la table pour consolider l’encadrement en maternel et renforcer le soutien administratif aux écoles du fondamental. Arrivent désormais des mesures moins populaires, qui ont sans doute été un peu oubliées… Retournez lire le Pacte, particulièrement l’axe stratégique autour de l’enseignement qualifiant. Relisez la page 218 : l’accord entre les acteurs de l’école prévoit clairement de recentrer les élèves jusqu’à 18 ans sur l’enseignement obligatoire puis, ensuite, de leur permettre, soit d’accéder à l’enseignement supérieur, soit de les diriger vers l’enseignement pour adultes. Chacun devait retrouver son périmètre : l’objectif de l’enseignement obligatoire, c’est de décrocher un CESS, du général ou du qualifiant alors que l’objectif de l’enseignement supérieur, de la promotion sociale et des outils régionaux de formation c’est l’enseignement pour adultes.
N’empêche, on est le nez sur ces réformes et elles font peur…
Il y a une crainte anticipée de ce qui va arriver par la suite. Une septantaine de septièmes années de qualification pourrait fermer parce qu’une formation similaire existe dans l’enseignement pour adultes. Nous serons très soucieux de l’existence d’alternatives accessibles pour chacun. Et il y aura certainement l’une ou l’autre dérogation ou la création de nouvelles formations en promotion sociale comme ce sera le cas pour l’horlogerie et le dessin assisté par ordinateur à Namur. Par ailleurs, on ne fermera pas les septièmes professionnelles ou préparatoires. Mais concomitamment à ce mouvement arrive progressivement la réforme de la gouvernance du qualifiant proposée par Caroline Désir (PS) qui devrait aboutir à la fermeture de 200 options. De plus, 2028 sera une date charnière pour le Pacte : le tronc commun va se poursuivre jusqu’en troisième secondaire, ce qui signifie que l’enseignement qualifiant débutera en quatrième et, je le rappelle, ce n’est pas ma décision. Oui, des profs de technique et des établissements vont perdre des heures. Les économies engendrées (lire analyse ci-contre) c’est ce qu’on appelle les effets retour du Pacte, indispensables à son financement. En fait le parcours technique organisé sur quatre ou cinq ans le sera bientôt sur trois. Et je comprends que ça fasse peur.
Vous parlez d’économies, sont-elles incontournables ?
On ne fait pas des économies par idéologie mais parce qu’elles sont indispensables dans le cadre budgétaire : la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est un budget de 13 milliards, dont neuf pour l’enseignement obligatoire. Aujourd’hui, le déficit est de 1,2 milliard mais dans quatre ans, si on n’y prend garde, ce sera 1,5 milliard. La réalité derrière ces chiffres c’est qu’actuellement on emprunte à 20 ans pour payer une partie des salaires ! La perspective des agences de notation est passée de stable à négative ce qui veut dire que les taux d’intérêt sur notre dette vont augmenter. On me dit : « vous sacrifiez nos enfants ». La réalité c’est que si on ne fait pas des économies maintenant, ce sont nos enfants qu’on sacrifiera à coup sûr puisque ce sont eux qui devront rembourser une dette de plus en plus importante. Si on veut préserver, comme c’est notre intention, les salaires, les emplois, l’indexation, on n’a pas tellement de choix.
Quelles solutions préconisez-vous pour rassurer l’école ?
Ma volonté, c’est d’abord de travailler sur la surcharge administrative pour soulager le monde enseignant. Et on a déjà commencé. Je veux par ailleurs mieux expliquer ce qui vient en plus du Pacte comme l’interdiction de l’usage récréatif du smartphone. On me l’a reproché parce que ce n’est pas dans le Pacte. Or, en 2017, peu de jeunes possédaient un smartphone… mais nous avons le devoir d’avoir un enseignement en phase avec les évolutions sociétales. Il y a une différence entre être une vestale du Pacte où tout est figé comme si c’était la Bible et en même temps pouvoir l’adapter aux évolutions de la société. Ensuite, les demandes que la société adresse à l’enseignement sont incroyablement lourdes notamment en ce qui concerne les élèves à besoins spécifiques. Aujourd’hui le professeur doit être attentif aux troubles de l’attention, à la dyspraxie, la dyslexie… Avant on pensait parfois que ces élèves n’étaient pas faits pour l’école. Désormais, il faut mettre des choses en place pour qu’ils puissent progresser avec les autres. Et c’est évidemment très heureux. Jusqu’il y a quelques années, le modèle de « l’intégration » apportait des heures en plus aux écoles concernées. Aujourd’hui les « pôles territoriaux » ont des missions ponctuelles mais dans une moindre mesure. Je veux vraiment qu’on encourage le respect des enseignants. Et je suis ouverte à améliorer la prise en charge de ces élèves avec un retour renforcé au co-enseignement. Je ne dis pas que j’ai déjà le budget pour le faire mais j’analyse la situation et travaille pour trouver une solution. Au final, je veux proposer une nouvelle feuille de route coordonnant le Pacte et la Déclaration de politique communautaire, une feuille de route concertée avec les acteurs et qui privilégiera la souplesse dans la mise en œuvre.
Votre porte est ouverte mais les syndicats ont l’impression que tout est déjà décidé…
Ce qui est décidé était dans le Pacte coécrit par les syndicats, il n’y a aucune surprise. On ne reviendra pas sur ce qui a été voté mi-décembre. Par contre, il y a une marge de manœuvre sur l’entrée en vigueur de certaines mesures. Je serai attentive à ce qu’on va me demander.
L’autre question qui fâche c’est le statut des profs.
Ce qui est prévu c’est de travailler sur un CDI (contrat à durée déterminée) spécifique pour les jeunes enseignants qui seront formés en quatre ans avec une revalorisation barémique. Ce n’est pas impossible à faire mais il faudra aussi faire sauter les différences de statut pour pouvoir enseigner dans les différents réseaux. Parlez-en aux jeunes profs, ils sont vraiment intéressés…
Mais pas par la fin de la nomination…
J’ai la volonté authentique d’offrir une perspective de long terme pour les jeunes. Evidemment, ce qui fâche c’est la fin des nominations. Je pense que le sens du dossier, ce sera d’essayer de limiter le décalage entre les deux situations, celle du jeune enseignant et celle des personnes nommées à vie, avec peut être aussi une discussion sur la réaffectation des malades de longue durée. Il existe une forme de duel entre les syndicats et le gouvernement. Ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse. Je préférerais qu’on essaie d’esquisser des pistes de solutions ensemble, avec des rencontres formelles et informelles. Je suis et resterai à l’écoute.
Pas simple d’appartenir à une majorité qui incarne un train d’économies à tous les étages. Pas simple de résister aux vents contraires animés par les syndicats et, plus timidement, par les pouvoirs organisateurs. Pas simple de vivre avec la pression de la rue, celle de décembre, mais aussi celle à venir ce lundi et surtout fin janvier. Pas simple… mais Valérie Glatigny assume… les choix de la majorité MR-Les Engagés. Des choix guidés par la nécessité de – tenter de – restaurer la santé financière de la Fédération Wallonie-Bruxelles en attendant un hypothétique refinancement.
Elle assume mais en même temps elle convoque l’histoire récente, celle du Pacte d’excellence, négocié, faut-il le rappeler, entre les syndicats, les pouvoirs organisateurs et les associations de parents. La mémoire fait peut-être défaut mais, effectivement, les réformes passées, actuelles et futures de l’enseignement qualifiant sont décrites noir sur blanc dans le document de référence des ministres qui se sont succédé à l’Education : Joëlle Milquet, Marie-Martine Schyns, Caroline Désir et Valérie Glatigny. On est d’ailleurs allé relire ce Pacte et plus particulièrement le « tableau de bord » qui l’accompagne : quatre belles grandes feuilles A3 chiffrant et balisant dans le temps les cinq axes stratégiques. On y découvre que l’allongement du tronc commun devrait rapporter 41 millions d’euros en vitesse de croisière et générer 827 pertes d’emplois. De son côté, la réorganisation du qualifiant doit rapporter 37 millions et générer 811 pertes d’emplois. Des effets retour face aux créations d’emplois et aux dépenses déjà consenties. Ce que Valérie Glatigny ne se prive pas de rappeler. Tout en clamant son ouverture au dialogue, sa volonté de négocier sur les modalités de mise en œuvre. Pas simple non plus, tant la marge de manœuvre est étroite…