Avec la réforme du chômage, les travailleurs et travailleuses ALE vont prochainement disparaître des écoles. Résultat : des garderies plus courtes, plus coûteuses, parfois externalisées. Un séisme discret, mais qui touche le quotidien de milliers de familles.
Des garderies scolaires plus courtes. Et plus chères. C’est le scénario préoccupant qu’esquisse une étude de la Ligue des familles autour de la réforme du chômage portée cet été par le ministre de l’Emploi David Clarinval (MR). En limitant le droit aux allocations à un ou deux ans, la réforme touche de plein fouet les travailleurs et travailleuses ALE qui assurent une grande partie des garderies scolaires. Leur disparition progressive annonce un choc pour les écoles : des services réduits, externalisés ou beaucoup plus onéreux.
Les ALE (agences locales pour l’emploi) – un dispositif qui permet à des chômeurs, chômeuses ou bénéficiaires du CPAS d’effectuer quelques heures de travail tout en gardant leurs allocations et en touchant un petit complément – regroupent des personnes qui prestent en moyenne 30 heures par mois dans leur commune : garderies du matin ou du soir mais aussi surveillance du temps de midi et des repas chauds, aide aux traversées et à la sécurité aux abords de l’école, petits coups de main logistiques, entretien, réparations, jardinage… Leur horaire est haché et leur rémunération – 4,10 euros de l’heure, soit trois fois moins que le salaire minimum de 12,2 euros de l’heure – vient en plus de leurs allocations. Un régime de prestations particulièrement précaire qui n’ouvre pas de droits à la sécurité sociale et qui n’est associé ni à des exigences ni à des possibilités de formation.
Dans l’enseignement fondamental bruxellois, révèle la Ligue des familles, 14 % des accueillants et accueillantes sont sous ce statut, et en Wallonie, 40 % des chèques ALE sont liés à des tâches scolaires. En 2024, on comptait 652.818 heures prestées dans les écoles wallonnes, soit l’équivalent de 358 équivalents temps plein annuels.
Là où ça se gâte
Il faut deux années complètes de chômage indemnisé pour être ALE. En toute logique, avec la réforme Clarinval, la majorité des prestataires perdront mécaniquement leur droit à partir de 2026, et nombre d’entre eux – notamment des femmes vivant dans un ménage où un autre adulte travaille – n’auront pas accès au CPAS, donc plus du tout accès à l’ALE.
Pour comprendre à quoi pourrait ressembler la rentrée 2026, saisir l’ampleur de l’impact qui risque de frapper les garderies scolaires et les services autour de l’école, prenons un exemple concret. Un établissement du sud-est de Bruxelles dont les associations de parents nous ont demandé de taire le nom, afin de préserver les discussions en cours avec la direction et la commune.
Ici, la décision de ne plus faire appel aux ALE n’est pas liée à la réforme du chômage : la direction y a renoncé après la chute d’un enfant – un accident mal pris en charge, ce qui avait suscité des plaintes de parents. « En effet, les ALE n’ont pas de formation spécifique pour s’occuper des enfants », rappelle Benoît Peeters, chargé de mission à la Fapeo (Fédération des parents et des associations de parents de l’Enseignement officiel).
Ce qui a suivi est précisément ce que redoutent aujourd’hui les familles : l’externalisation. « La directrice a donc décidé de faire appel à une société privée pour assurer les garderies », raconte-t-il. L’école a choisi Action Sport, opérateur agréé par l’ONE, spécialisé dans les stages de vacances. A la rentrée, les parents – qui n’ont pas été consultés – découvrent alors une nouvelle grille tarifaire : la garderie, organisée de 15 h 30 à 18 h, est désormais payée à la minute, avec un prix plus élevé après 17 h. « On leur annonce qu’elle coûtera à temps plein 5,72 euros par jour », précise-t-il.
Résultat : « De 162 euros, ils sont passés à… 1.367 euros par an » pour un seul enfant. Une hausse de près de 750 %. Les parents interpellent la direction. Après insistance, l’école accepte de revoir le tarif : 5,43 euros, soit le plafond légal du décret ATL (accueil temps libre) qui encadre les tarifs des garderies scolaires, et Action Sport consent une réduction de 10 % pour le deuxième enfant. Mais : « Rien pour les suivants donc si on a trois enfants, ça fait quasi deux mois de salaire », souligne Benoît Peeters. « A cela s’ajoutent encore 11 euros par mois pour la garderie du matin, toujours assurée par des ALE. »
« Du bricolage »
Les effets sont immédiats : la garderie se vide. « Soit les parents s’arrangent entre eux, ou avec les grands-parents – c’est du bricolage –, soit ils ont carrément changé d’école », regrette le représentant de la Fapeo. « Ils viennent d’interpeller la commune, mais celle-ci n’a aucune obligation légale de les aider ou d’agir sur les coûts, puisqu’il ne s’agit pas d’une école communale. Vraiment, il faut voir de manière macro ce que tout ça va impliquer l’année prochaine. »
Les familles d’un autre établissement l’ont contacté : où la garderie est passée « de 150 à 800 euros par an ». Et puis il y a celles et ceux qui ne sont pas encore touchés dans leur portefeuille, mais qui s’inquiètent de ce qu’ils pourraient aussi perdre : le lien, la stabilité, les visages familiers.
Comme Florence, maman de trois enfants, garçons et fille de 7 ans, 9 ans et demi et 11 ans et demi, scolarisés dans une école libre d’Etterbeek, qui voit la réforme du chômage à travers le sort des quatre travailleurs ALE de l’établissement. « On les connaît depuis toujours, ils font vraiment partie de notre quotidien », raconte-t-elle. « Ce sont eux qui nous ont alertés, nous, parents, et on est catastrophés. Ce sont des personnes présentes partout dans l’école, qui sont tout le temps là, qui s’occupent des siestes des tout-petits, aident aux repas chauds, ouvrent et ferment les portes, bricolent, rangent, et même nous aident à tenir le bar pendant les fêtes de l’école ! »
Leur départ laisserait un vide : « On ne sait pas s’ils seront remplacés, ni par qui. » Et surtout une crainte : perdre des adultes stables et connus, en qui les familles ont confiance. Les alternatives évoquées – flexi-jobs ou bénévolat – ne la rassurent pas : « Il n’y aura peut-être pas cette régularité, c’est ça qui est inquiétant. » Au-delà du coût, l’enjeu est pour elle profondément humain : « Ces gens qu’on croise matin et soir, aux fêtes, qui habitent dans le quartier… ils font partie de notre vie quotidienne. »
La solution qui ne résout rien
Au niveau fédéral, plusieurs pistes sont désormais ouvertes : recourir à des bénévoles défrayés ou à des flexi-jobs, et permettre aux personnes exclues du chômage mais non éligibles au CPAS de continuer à prester en ALE. La Wallonie a d’ailleurs validé mardi en commission un projet de décret allant dans ce sens – pas encore voté en plénière – qui permettrait à ces prestataires exclus et sans accès au CPAS de continuer à travailler pour 4,10 euros de l’heure… sans autre revenu.
Aucune de ces options ne résout l’enjeu central que rappelle Merlin Gevers, chargé d’études et d’action politique à la Ligue des familles : « Il faut des conditions d’emploi de qualité pour nos accueillants et accueillantes extrascolaires pour que les conditions d’encadrement de nos enfants soient de qualité. » Il ajoute que « les solutions pérennes actuellement envisagées semblent entraîner des conditions contractuelles ou de travail plus inadaptées (flexi-jobs) ou précaires (volontariat) encore que les ALE ».
« Ce sont des choix politiques », ajoute Benoît Peeters. « Il y a des communes où des éducateurs formés viennent s’occuper des garderies, tout simplement parce que la commune a fait le choix de mettre des billes là-dedans plutôt que dans autre chose. Et à Anderlecht, ils ont mis en place des référents pour encadrer les accueils de temps libre », alors même que la commune est sous tutelle financière. Une preuve, dit-il, « qu’on peut choisir d’y mettre des moyens ».

