Depuis 2018, des enfants scolarisés dans les écoles maternelles et primaires qui concentrent les familles les plus précaires bénéficient de repas complets, sains et durables. Mais les économies annoncées par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pourraient forcer ces écoles à renoncer à ces repas. La ligue des familles s’inquiète.
Pour beaucoup d’enfants, c’est devenu une habitude de prendre le repas chaud de midi à l’école. A l’école communale du Nord à Charleroi, la directrice, Isabelle Moreau, voit pratiquement tous ses petits élèves de maternelle profiter de la gratuité des repas : « Sur les 90 petits bouts de maternelle, 80 mangent un plat complet, sain et gratuit pour les parents. C’est notre troisième année scolaire avec une telle accessibilité pour les familles. Pour certains enfants, c’est l’occasion de manger différemment et de découvrir des saveurs. Pour d’autres, c’est malheureusement le seul repas de la journée. Si la gratuité disparaissait, ce serait une catastrophe. ”
Un risque réel pour la Ligue des familles
L’heure est aux économies à la Fédération Wallonie-Bruxelles et du côté de la Ligue des familles, on se montre très inquiet. Merlin Gevers, chargé d’étude “Enseignement” à la Ligue des familles explique : « Sur les 86,7 millions de coupes budgétaires prévues dans l’enseignement obligatoire en 2026, près de 16 millions sont issues d’économies dans le soutien aux élèves les plus défavorisés. Il va donc falloir choisir dans quoi mettre l’argent qu’il reste. Les écoles vont-elles devoir remplacer ces repas par de la soupe ? Ou demander à ces parents en difficultés financières de payer un prix qu’ils ne peuvent se permettre ? ”

Une certaine gratuité depuis 2018
Un appel à projet avait été lancé (par le gouvernement PS-cdH) en 2018 à destination des écoles maternelles les plus précaires. L’objectif était de garantir aux élèves un repas chaud, de qualité, durable et distribué gratuitement. A partir de 2021, le gouvernement MR-PS-Ecolo a davantage financé et des élèves d’écoles primaires défavorisées ont pu intégrer, eux aussi, le projet. En 2023, un décret a été voté pour pérenniser les projets existants dans les écoles en les assurant pour plusieurs années. Depuis, 21 millions d’€ sont alloués chaque année. En 2025-2026, 429 écoles de milieux précaires sont dans ce dispositif et 55 288 élèves bénéficient de ces repas chauds à l’école.
Selon Merlin Gevers de la Ligue des familles, ces projets font une énorme différence : « Prèsde 14% des enfants belges de 6 à 11 ans sont en situation de privation matérielle sévère en Belgique (Statistiques « EU SILC » de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie) et un parent sur 5 d’enfants de 3 à 9 ans n’a pas les moyens de permettre une alimentation saine et équilibrée (Enquête nationale Sciensano sur l’insécurité alimentaire). Dans ces écoles précaires, le repas chaud à midi garantit une alimentation saine et équilibrée aux élèves. Le projet vise donc à répondre à des enjeux de santé publique, à soutenir le bien-être des enfants, et leur permet enfin des apports nutritionnels variés qui sont nécessaires pour apprendre dans de bonnes conditions, en ayant tant le ventre rempli que le cerveau correctement nourri. »
La Fédération Wallonie-Bruxelles doit se serrer la ceinture
Mais la FWB doit faire des économies. Le gouvernement projette de réduire sérieusement l’enveloppe des établissements scolaires concernés. La Ligue des familles a fait ses calculs. Merlin Gevers détaille : « D’abord, les moyens disponibles pour ces repas sont en baisse. Il ne reste que 8,2 millions d’euros pour les organiser, au lieu des 21,4 aujourd’hui. Ensuite, ces moyens en baisse seront dilués dans deux fois plus d’écoles. Théoriquement, les écoles peuvent décider d’allouer plus que 8,2 millions en plus à ces repas. Mais alors elles devront supprimer des activités de soutien pédagogique, augmenter le prix des activités scolaires à charge des parents, rogner dans le matériel scolaire mis à disposition ou supprimer des heures à des assistants sociaux ou des logopèdes. Et si elle refusent logiquement ces mesures, le budget disponible par enfant par an pour organiser desrepas va être divisé par… 6, en moyenne, si le gouvernement confirme ses intentions. Annuellement, dans les écoles qui organisaient ces repas, le nombre de repas à 3,70 € distribuables gratuitement par élève serait divisé par 9 (si on tient compte qu’il y a une part fixe nécessaire aux frais de fonctionnement). Et ce sera pire dans certaines écoles dépendant de leur indice socio économique (ndlr : l’indice socio-économique est le reflet du niveau de vie des ménages et familles fréquentant l’établissement scolaire – l’indice 1 étant le plus précaire). Par exemple dans les écoles d’ISE 5, le budget par élève serait divisé par 14. Ces repas deviendraient inorganisables dans les faits, avec une telle division des moyens.”

Selon le cabinet Glatigny, les repas gratuits ne vont pas disparaître
Ce qui est certain, c’est que le dispositif va changer à partir de janvier 2026. Du côté du cabinet de la ministre Valérie Glatigny, en charge de l’Éducation, on explique : » Le contexte budgétaire est ce qu’il est. Auparavant, il y avait une enveloppe de 21 millions d’€ pour les repas. Il fallait répondre à un appel à projets pour en bénéficier. Tout l’argent n’était pas utilisé. » Autrement dit, la totalité du budget n’était pas sollicitée par des établissements qui auraient pu en bénéficier.
» Aujourd’hui, l’enveloppe passe à 14 millions d’€ mais il n’est plus nécessaire de répondre à un appel à projets. Ce dispositif-là disparaît. Cette somme va être partagée et la part de chaque école concernée (écoles à ISE faibles) sera directement injectée dans les moyens de fonctionnement des écoles sans qu’elles n’en fassent la demande. Chaque établissement pourra donc en faire ce qu’il souhaite, sans obligation.
Si les écoles désirent faire un autre usage de ces moyens supplémentaires octroyés, ils le peuvent. Contrairement aux appels à projets précédemment mis en place, les nouvelles dispositions prévoient que les écoles peuvent organiser des repas, et non pas uniquement des repas complets. Cela laisse la possibilité aux écoles d’organiser, par exemple, des potages dans les écoles. «
Des alternatives sont possibles pour la Ligue des familles
« 200 millions d’€ sont annoncés pour de nouvelles politiques. Par exemple, la réintroduction de nouvelles options en 3ème secondaire pourraient coûter jusqu’à 60 millions d’€ par an. Il y a donc d’autres choix possibles sur la table et nous comptons bien faire des propositions ”, explique Merlin Gevers, chargé d’études “Enseignement” à la Ligue des familles.
Plus de 55 000 élèves bénéficient aujourd’hui de la gratuité des repas chauds en maternelle et primaire en Wallonie et à Bruxelles mais jusqu’à quand ? La question sera au menu des discussions en commission du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ce lundi.

