Une manifestation dans les rues de Bruxelles lundi et des actions locales le lendemain. Les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles seront fortement perturbées en ce début de semaine. Les syndicats s’attendent à une mobilisation importante et rien n’est de nature à les rassurer à ce stade.
Une grève de 48 heures. Les enseignants et le personnel de l’école seront les bras croisés ces lundi 27 et mardi 28 janvier. Une manifestation est prévue lundi dans les rues de Bruxelles, et des actions locales suivront le lendemain. Du jamais vu depuis les années 90 et l’annonce de 2.800 licenciements qui déboucha sur un bras de fer de plusieurs mois. Aujourd’hui, on n’en est pas là, le mécontentement du secteur remonte déjà à la crise sanitaire. Mais il s’est vu exacerbé par la déclaration politique du nouveau gouvernement MR-Engagés (fin de la nomination, modulation de la charge horaire) et par la récente adoption du décret-programme (diminution des moyens dans l’encadrement, fin des 7e années pour les élèves du technique). A deux jours de cette grève de 48 heures, les deux principaux syndicats enseignants – Luc Toussaint pour la CGSP et Roland Lahaye pour la CSC – donnent au Soirun entretien croisé.
Deux jours de grève, ce n’était plus arrivé depuis combien de temps ? Quelle devrait être l’ampleur du mouvement ?
Roland Lahaye Certainement depuis les grandes grèves des années 90 sous la législature d’Onkelinx (ministre socialiste en charge de l’Education de 1995 à 1999, NDLR). On le répète souvent, mais la grève est au sommet des actions que nous pouvons entreprendre et elle ne se fait jamais de gaieté de cœur. Ces deux jours de grève sont simplement une réponse proportionnelle à la gravité de la situation et à la souffrance vécue par le personnel de l’enseignement. Cette souffrance ne découle pas uniquement de l’adoption du budget 2025 et des économies à faire. C’est une accumulation de facteurs qui, selon moi, débute au moment de la crise covid. Les enseignants ont été fortement mobilisés, ils ont servi « de chair à canon » pour le bien-être des élèves et la poursuite des apprentissages. Pour autant, ils n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient. Cette colère s’est exacerbée avec la déclaration de politique communautaire (DPC). Aujourd’hui, les enseignants en ont ras-le-bol, parce qu’ils estiment et ils ont raison, qu’on ne leur fait plus confiance.
Luc Toussaint Il est impossible de donner un chiffre concernant la mobilisation à venir, mais on a jamais vu un mouvement d’une telle ampleur se dessiner. Beaucoup de gens, parfois réfractaires à l’action syndicale, peuvent nous dire : « J’ai 45 ans, je ne me suis jamais syndiqué, mais aujourd’hui c’est trop important. »
A l’exception des possibles atteintes à la nomination, quels sont les motifs de mécontentement ?
R.L. Les enseignants s’ils se battent aujourd’hui, c’est surtout pour leurs élèves qui vont faire les frais de toute une série de réformes, en particulier dans le qualifiant. Quand on touche à l’élève, on touche au graal dans l’enseignement. Personne ne peut rester indifférent. Après seulement vient le mécontentement concernant les conditions de travail, le statut, la rémunération, etc.
R.L. Le Pacte d’excellence prévoyait en effet une réduction du budget dans le qualifiant à hauteur de 37 millions d’euros. Sauf que certains et certaines semblent oublier les mesures déjà prises sous la précédente législature afin de réduire la voilure. A l’époque, le gouvernement MR-PS-Ecolo avait proposé une réduction du NTPP (nombre total de périodes-professeurs). Les syndicats ont dit « non » et ils avaient raison. Le gouvernement a alors essayé de trouver des solutions qui, si elles ne font plaisir à personne, tenaient compte de la réalité du terrain. Deux décrets ont été votés : le nouveau parcours de l’enseignement qualifiant (le PEQ qui propose un apprentissage modulaire avec des unités d’apprentissage, NDLR) et le décret sur la gouvernance du qualifiant (avec une rationalisation de l’offre et une fermeture des options qui n’accueillent pas suffisamment d’élèves et/ou qui ne visent pas un métier en pénurie, NDLR). Aujourd’hui, que fait le gouvernement et ce pour des raisons purement budgétaires ? Il nous renvoie à la figure ce qu’on a évité il y a deux ou trois ans d’ici, sans aucune concertation.
L.T. A l’origine, les 37 millions d’économie étaient essentiellement liés à la fermeture de la troisième qualifiante. Ici, il n’y a aucune réflexion sur l’avancement du tronc commun, les investissements à faire face à l’évolution des métiers. En fermant l’accès à la 7e année pour les détenteurs d’un CESS, en interdisant l’accès à l’enseignement obligatoire pour les élèves majeurs qui ont décroché, le gouvernement empêche des jeunes d’aller au bout de leur formation citoyenne, parce que ce n’est pas ce qui intéresse directement le monde de l’entreprise. Il s’agit d’une vision idéologique que nous contestons.
R.L. Dans la feuille de route du Pacte, il y avait aussi toute la dimension sociale du changement qui ne devait pas se faire au détriment de l’emploi. Il était prévu de donner la possibilité aux enseignants de se réinsérer professionnellement via des cellules de reconversion. Aujourd’hui, cette cellule n’existe pas. Alors on nous dit que le ministère y travaille, mais à part l’entendre dire, moi je ne l’ai jamais vue concrètement. C’est pour ça que je dis qu’on a mis la charrue avant les bœufs. Lorsqu’on me rappelle ce qu’il y a dans la feuille de route du Pacte, j’aime aussi rappeler que la gratuité scolaire y figurait, ça n’empêche pas le gouvernement de ne pas prolonger la mesure au-delà de la 3e primaire…
Un cadastre des options en septième année va toutefois être réalisé pour voir s’il existe une équivalence dans l’enseignement pour adulte.
R.L. Je vous pose une question : Est-ce qu’il n’aurait pas été plus logique d’avoir ce cadastre avant de voter la réforme ? Le gouvernement estime qu’à 18 ans, on est adulte et qu’on doit quitter l’enseignement obligatoire avec tous les risques que cela comporte pour la société de demain. La formation pour adulte n’aura jamais la vocation citoyenne qu’offre l’enseignement ordinaire et dans le contexte actuel, avec certaines idées nauséabondes qui émergent, ne nous étonnons pas demain si des jeunes en perdition se raccrochent à des idées extrêmes. En disant ça, il ne s’agit pas de dévaloriser l’enseignement pour adultes comme le gouvernement voudrait le faire croire. On nous accuse aussi de faire peur, mais en tant que syndicat, notre rôle est d’être constamment en alerte face aux décisions politiques.
Comment se passe actuellement le dialogue avec la ministre Valérie Glatigny ?
L.T. Je ne parlerais pas de dialogue pour l’instant. Visiblement, il n’y a pas de photocopieuse au ministère… Lors de notre dernière rencontre, en début de semaine, la ministre nous a proposé de participer à différents groupes de travail et plutôt que de nous donner un document reprenant les grandes lignes de ce qui allait être abordé, madame Glatigny nous a fait la dictée pendant 40 minutes en nous disant : « Est-ce que tout le monde a le temps de noter ? Il me semble que les dames notent plus rapidement que les messieurs. »
R.L. C’était la dictée de Pivot en petit et place Surlet de Chockier (adresse du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, NDLR). On n’a encore eu aucun signal qui permettrait d’apaiser les choses. Il y a l’Arizona au fédéral et le désert au niveau communautaire. Ce qu’il s’est passé cette semaine au parlement ne me rassure pas. Trois motions ont été déposées pour le retrait des mesures dans le qualifiant et il y a eu un vote majorité contre opposition. Ça montre bien que le gouvernement campe sur ses positions.
Ces groupes de travail visent à « revaloriser le métier d’enseignant, moderniser le statut et lutter contre la pénurie ». Une bonne nouvelle ?
L.T. Nous avons déjà indiqué que nous n’accepterions pas un simulacre de concertation. Lorsqu’on voit que la ministre envisage la création d’une « fonction générique d’appui pédagogique ou d’assistants d’enseignement », ce n’est pas de nature à nous rassurer. Si aujourd’hui on ne trouve pas de candidat avec une formation pédagogique, qui va-t-on engager ? Le premier chien avec un chapeau qui passe ? Ce sont des fausses solutions qui ne vont pas aider à la revalorisation du métier.
R.L. Un autre groupe devra se pencher sur les congés, les absences pour maladie. Moi, j’ai de nouveau peur qu’on prenne le problème par le mauvais bout. Il faut redonner aux enseignants le goût de parler de leur fonction avec amour. Ils l’exercent avec amour, mais elle est devenue tellement compliquée qu’ils ne la promotionnent même plus.
Est-ce que le mouvement syndical pourrait se durcir ?
L.T. Se durcir, je ne sais pas. En tout cas, il y a très peu de chances, étant donné les dernières déclarations de la ministre au parlement, que le mouvement s’arrête.
R.L. Le mouvement devra tenir compte de ce qu’il se passe au fédéral, parce que ce qui s’annonce n’est pas de manière à rassurer la fonction publique et les enseignants en particulier. On retournera vers notre base d’affilié après les deux jours de grève pour voir quelle est la suite à donner.
Avec potentiellement des semaines de grève durant lesquelles les élèves n’auraient pas cours ?
R.L. Personnellement, je n’y crois plus. Au niveau financier, la situation de 2025 n’est pas la situation des années nonante. On devra trouver d’autres formes d’action pour durer, comptez sur nous pour être imaginatifs.
L.T. Se lancer dans des grèves de longue durée, avec de lourdes pertes de rémunérations, n’a pas beaucoup de sens. La grève n’a pas d’impact économique sur le patron comme dans une entreprise. Ici, on joue plutôt sur l’opinion publique.
Plus tôt ce mois-ci, une école a diffusé des photos d’élèves entièrement vêtus de noirs en soutien au mouvement syndical. Quel est votre regard sur cette participation d’enfants très jeunes ?
R.L. Ces élèves étaient en maternelle, il faut le reconnaître et rappeler aux enseignants de faire la part des choses. Est-ce que ce sont les parents qui, par solidarité, ont habillé leur enfant en noir pour qu’ils viennent à l’école ? Je n’en sais rien. Le combat des enseignants, c’est le combat des enseignants. Quand les enfants sont en âge de discernement et qu’ils sont capables de comprendre, il n’y a pas besoin de leur expliquer. Ils savent que c’est leur avenir qui est en jeu et ils se mobilisent sans qu’on le leur demande. Ça peut aussi faire partie de la formation citoyenne que d’apprendre à dire : « Je ne suis pas d’accord. » Il faut donc tenir compte de l’âge, mais avec des élèves de maternelle, ça n’aurait pas dû arriver.