Le budget 2025 qui prévoit de nouvelles orientations en matière d’enseignement sera voté ce mercredi. Le succès de la dernière manifestation met sous pression les orientations de la ministre Valérie Glatigny. Réforme des nominations, du qualifiant, soucis d’économies, que se cache-t-il derrière chaque projet de réforme?

Le mouvement social en cours au sein de l’enseignement francophone tiendra-t-il dans le temps? Les réformes poussées par la ministre Valérie Glatigny (MR) verront-elles le jour? L’enseignement, chamboulé par les réformes du Pacte pour un enseignement d’excellence depuis 2017, retrouvera-t-il la voie de la concertation, suivie depuis si longtemps dans le sud du pays? Des réponses seront données la semaine prochaine. Lundi matin, 300 membres des directions de l’enseignement catholique se rassembleront à Bruxelles, sous les bureaux de la ministre, pour protester contre des éléments de son décret-programme. Le budget 2025, lui, sera voté mercredi au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Les syndicats ont d’ores et déjà prévu de manifester bruyamment leur présence pour s’opposer à ce budget qui prévoit des inflexions douloureusement vécues.

Le message a été entendu, fait savoir le gouvernement de la FWB. Mardi dernier, la grève des enseignants, déclenchée pour faire face aux projets de Valérie Glatigny, a été très suivie. Jusqu’à pousser la ministre-présidente Elisabeth Degryse (Les Engagés) à tenter d’éteindre les étincelles, à défaut du bûcher: “Nous avons pris acte que cette grève a été fort suivie. Nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire.”

65%

L’enseignement représente environ 65% des dépenses de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont 85% de salaires.

Les gouvernements de la Fédération Wallonie-Bruxelles se succèdent, les majorités évoluent, le principal problème de cette entité fédérée reste le même: son déficit, chronique, qui se creuse chaque année de près d’un milliard d’euros. Pour y remédier, tous les regards se tournent forcément vers l’enseignement, l’éternel mammouth du budget communautaire. L’enseignement représente ainsi environ 65% des dépenses de la Fédération, dont 85% de salaires. Voilà le secteur sur lequel de vraies économies pourraient être réalisées.

Est-ce la volonté du gouvernement, comme le martèlent les syndicats et les socialistes? Sous la houlette de Caroline Désir, entre 2019 et 2024, le PS avait fidèlement suivi la feuille de route-totem du “Pacte d’excellence”, ce grand compromis censé réconcilier les acteurs de l’école jusqu’en 2029. Il fait aujourd’hui feu de tout bois, dénonçant la “mise à sac” de l’enseignement officiel par la voix du député Martin Casier.

Entre le ton rassurant du gouvernement, les craintes du secteur et les dénonciations des partis d’opposition, où se niche la réalité? En compagnie d’acteurs au plus proche de la “machine” de l’enseignement francophone, L’Echo sort son carnet d’évaluation, réforme par réforme.

Les nominations, la surprise qui fait jaser

De l’avis de la majorité des spécialistes de l’enseignement interrogés, militants ou observateurs extérieurs, c’est le dossier du changement de statut des enseignants qui a mis le feu aux poudres. Dans un monde de l’enseignement rompu, depuis des décennies, à la négociation entre politiques, syndicats et pouvoirs organisateurs, l’idée d’un changement de statut des profs est, pour beaucoup, comme tombée du ciel.

Elle figurait sur le programme électoral des Engagés, qui imaginaient un “statut alternatif à la nomination des professeurs, basé sur un contrat à durée indéterminée”. Une fois aux manettes à la Fédération Wallonie-Bruxelles, le parti centriste a convaincu le MR du bien-fondé de la réforme. Dès le mois de juillet, la mesure faisait grincer des dents. “Le gouvernement semble se braquer sur cette mesure qui n’était pas prévue dans le Pacte. Est-ce vraiment la priorité? Les Engagés se sont un peu montés le bourrichon, ce n’était pas très malin. Cela crispe le monde des enseignants”, résume un observateur.

Qu’en est-il vraiment, de cette mesure disruptive et copernicienne? Pour l’heure, elle reste peu détaillée. Et, surtout, elle n’est pas à l’ordre du jour du budget 2025 qui sera voté la semaine prochaine. “Ce travail se fera au cours de cette législature, mais certainement pas pour janvier 2025comme certains le font croire. Il s’agit là d’un projet d’ampleur qui ne s’écrit pas sur un coin de table”, pointe le cabinet de la ministre Glatigny, qui compte sur une “négociation avec le secteur” et vise “la rentrée scolaire 2027-2028”.

Ce qui fuite du concept? Le cœur de la réforme est de donner plus rapidement un CDI aux jeunes enseignants, accompagné d’une revalorisation salariale. Objectif: sécuriser ceux qui entrent dans la profession et leur éviter les successions de CDD, les changements d’école chaque année, le recours au chômage durant les mois d’été. “Ce serait une bonne chose pour les jeunes profs, mais cela induirait une perte d’avantage en matière de pension. Le gouvernement indique qu’il ajouterait à ce CDI un 2ᵉ pilier – une forme d’assurance-groupe – au niveau du montant de la pension que ces enseignants ne toucheraient plus, puisque plus nommés”, commenteJulien Nicaise, administrateur général de Wallonie-Bruxelles Enseignement, un pouvoir organisateur de l’enseignement officiel.

Ce 2ᵉ pilier, il faudra bien le payer. En sous-texte, on comprend donc qu’une réforme du statut ne serait pas source d’économies budgétaires. Le cabinet Glatigny ne se hasarde pas encore à le chiffrer, puisque “des travaux budgétaires sont en cours, et la différence de coût peut dépendre de multiples éléments, en ce compris la forme juridique qui sera retenue pour le CDI Enseignants”.

Pourtant, un autre observateur se fait critique: “On dévoile un projet de réforme non prévu dans le Pacte, sans en avoir vérifié l’impact. Quid de pistes alternatives pour améliorer l’entrée en fonction des enseignants débutants et pour moderniser le statut actuel? Quid des implications budgétaires? Agiter un tel chiffon rouge sans être certain du coût et des enjeux, ce n’est pas très sérieux.”

Autre crainte syndicale: voir la disparition de la nomination, même si le gouvernement l’assure: ceux qui l’ont obtenue ne la perdront jamais. “Je ne veux pas opposer CDI et nomination. On peut proposer un CDI aux jeunes, tout en leur permettant de les nommer dans leur fonction. Osons faire cohabiter les deux! Si on enlève la nomination, que restera-t-il?”, interroge Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement.

Des suppressions de postes, tant que ça?

La baisse du nombre d’enseignants ne sort pas de nulle part, elle est anticipée de longue date. La raison en est simple: elle provient de la baisse de la natalité. Une étude du Centre de recherche en économie régionale et politique économique (Cerpe, UNamur), publiée en octobre, modélise les besoins de l’enseignement francophone jusqu’en 2029, sur base de prospectives de natalité du Bureau du plan. Au vu de l’importante baisse du nombre d’enfants en Belgique francophone – environ -10% d’élèves en primaire entre 2022 et 2027, -7% d’élèves en maternel dans le même laps de temps –, cette étude (dévoilée dans Le Soir cette semaine) prévoit une diminution du nombre de professeurs.

12% MASSE SALARIALE

Selon une étude du Cerpe, la masse salariale de l’enseignement devrait grimper de 12% d’ici à 2019, malgré une baisse de 2% des effectifs.

Ainsi, entre 2023 et 2029, les chercheurs namurois prévoient que le nombre d’équivalents temps plein chutera légèrement de 116.324 à 113.941. Pourtant, la masse salariale, elle, va grimper. “Le nombre d’enseignants devrait diminuer de 2,05% d’ici à 2029. La masse salariale hors index devrait baisser de 0,73%, mais la masse salariale indexée progressera de 12%, principalement du fait de l’inflation envisagée par le Plan”, commente Henri Bogaert, coauteur de l’étude avec Élodie Lecuivre et J.-M. Paul.

En effet, selon le simulateur de masse salariale réalisé par ces chercheurs, et devant lequel les décideurs politiques ont les yeux rivés, la masse salariale de l’enseignement francophone passera de 7,1 milliards d’euros à quasiment 8 milliards en 2029, malgré la baisse du nombre de profs. Voilà qui n’arrange pas les affaires du gouvernement et promet d’autres mesures budgétaires. “On a une Communauté française qui dépense 14 milliards par an contre 12,5 milliards de recettes. Le déficit se cumule, il est donc logique que le gouvernement prenne des mesures pour redresser la situation. Mais est-ce sur l’école que l’on doit faire peser cet effort?”, objecte Julien Nicaise.

Le qualifiant pas disqualifié

Dans les griefs des syndicats – et du PS – figure une baisse de la voilure du nombre d’enseignants, avec trois enseignants sur cent qui perdraient leur emploi, dans le qualifiant. Pertes d’emploi sèches? Non, pointe le gouvernement: “il s’agit de pertes de charges, pas d’emplois”. La CSC, pour sa part, dénonce une “casse sociale”.

C’est bien la réforme de l’enseignement qualifiant (technique et professionnel) qui constitue l’autre pomme de discorde majeure entre gouvernement et syndicats. Ce secteur, ce n’est pas une mince affaire: “L’enseignement qualifiant, c’est presque un élève sur deux dans le secondaire supérieur. Il vise l’acquisition des ‘soft’ et des ‘hard skills’ nécessaires pour se former à un métier, outre la formation citoyenne”, résume Olivier Remels, administrateur délégué de la Fondation pour l’enseignement, qui vise à “créer des ponts entre l’école et l’entreprise”, car “l’école ne vit pas sur une île”. Pour lui, “il est indispensable que l’école s’articule avec les acteurs extérieurs, notamment les entreprises, afin de faciliter l’insertion socio-professionnelle des élèves. À cette fin, on ne peut que supporter l’idée d’un contrat social dans l’esprit du Pacte d’excellence”, soutient Olivier Remels.

Ce qui est sur la table? La diminution de 3% du nombre total de “périodes-professeurs”, la fin de l’accès en 7ᵉ année technique/professionnelle aux élèves majeurs qui ont eu le CESS, la fin de l’accès des élèves majeurs en 3ᵉ et 4ᵉ secondaires, la fin des “très petites options” où des matières sont enseignées à une poignée d’élèves. Pour des économies totales chiffrées à 15 millions d’euros par le gouvernement.

Les syndicats désapprouvent la méthode, tout comme le fond. “La ministre a ‘bypassé’ les acteurs en prenant des mesures sur le qualifiant dans son décret programme, et cela a frustré les pouvoirs organisateurs”, assure Roland Lahaye, qui dénonce, là aussi, des “mesures d’économies”.

Un argument balayé par un observateur extérieur: “Il n’y a pas de trahison. Les économies annoncées dans le qualifiant l’étaient déjà en 2017. La ministre a rajouté la suppression de plusieurs classes de 7ᵉ et fait en sorte que des jeunes de 19 ans n’iront plus en 3ᵉ secondaire. On est plutôt dans la lignée du Pacte d’excellence, et il n’y a pas là, selon moi, matière à hurler au désinvestissement de l’école.” Un autre acteur intéressé au premier chef confirme: “Il s’agit d’une suite naturelle du Pacte, des mises à jour, des rationalisations. Certains disent qu’il s’agit d’une mesure brutale du gouvernement, ce à quoi d’autres répondent que la FWB est en déficit d’un milliard par an”, philosophe-t-il.