Le livre “Allah n’a rien à faire dans ma classe” coécrit par Jean-Pierre Martin et Laurence D’Hondt se veut un “cri d’alarme”. Durant plusieurs mois, les deux journalistes ont enquêté sur la montée de l’islamisme dans les écoles en Belgique francophone. Ils sont partis à la rencontre de professeurs confrontés à cette problématique dans l’exercice de leur métier et ont recueilli des témoignages interpellants. L’ouvrage brise le silence sur un sujet sensible voire encore tabou. Pour preuve, la conférence sur la sortie du livre avait été annulée le 16 novembre dernier en raison de menaces. “L’école doit redevenir un lieu d’instruction et non de prosélytisme”, alertent les auteurs.
Remise en question du darwinisme, contestation de la Shoah, négationnisme, refus du cours d’éducation sexuelle, revendications autour du halal ou du voile: les deux auteurs donnent la parole à des enseignants souvent très seuls face à l’entrisme islamiste dans les écoles. Avec à la clé, certains récits édifiants.
“Le problème est totalement sous-estimé du côté francophone. Nous faisons preuve d’une méconnaissance totale par rapport à l’islamisme. Par peur d’aggraver certains sentiments de discrimination, on n’ose pas nommer les choses”, pointe Jean-Pierre Martin, ancien grand reporter pour RTL. “En France, avec les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard, il y a eu une prise de conscience par rapport au phénomène, mais pas en Belgique francophone. Le fait que la Belgique ne prenne pas acte de la problématique et n’ait pas de politique en la matière a aussi motivé notre démarche”, prolonge Laurence D’Hondt, autrice et journaliste indépendante.
3 à 4 signalements par jour en Flandre
Contrairement à la Flandre, qui possède une cellule de prévention contre la radicalisation et la polarisation, la Belgique francophone ne dispose pas de procédures concrètes pour recenser les incidents liés au fondamentalisme islamique dans les écoles, alors que l’islamisme reste la principale menace pesant sur la Belgique, selon l’Ocam. En 2023, 3 à 4 signalements par jour ont été faits dans l’enseignement officiel flamand.
Dans son rapport d’activités 2023, le Comité R, l’organe de contrôle des services de renseignement, indiquait par ailleurs que “les risques liés au renforcement des Frères musulmans en Belgique ne semblent pas toujours pris à leur juste mesure”. “Il y a aujourd’hui une volonté d’insérer au sein des structures de l’État une idée de renversement de l’État démocratique par l’idée qu’un certain islam devrait gérer notre société”, déclarait Serge Lipszyc, le président sortant du Comité R.
Polémique suite à l’annulation de la conférence
Depuis le 16 novembre dernier, l’ouvrage connait un coup de projecteur inattendu suite à l’annulation, en raison de menaces, de la présentation qui devait avoir lieu à la FNAC à Woluwe-Saint-Lambert. Une nouvelle présentation est prévue après les fêtes.
La sortie du livre, en plein procès de l’attentat contre l’enseignant Samuel Paty en France, semble déjà faire bouger un peu les choses en Belgique francophone. À l’invitation de Diana Nikolic, cheffe du groupe MR au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Jean-Pierre Martin est allé à la rencontre d’élus libéraux qui s’inquiètent de cet entrisme islamiste dans l’enseignement. Le groupe MR souhaite organiser en commission du Parlement des auditions des auteurs du livre et d’acteurs de terrain (enseignants, directions…).
“Le but de cette rencontre, qui s’est faite en présence de Valérie Glatigny (la Ministre de l’enseignement, ndlr) était d’expliquer notre démarche et de résumer les témoignages des professeurs. Je suis heureux que la ministre ait déjà lancé une enquête auprès de tous les enseignants et qu’elle ait rencontré son homologue française la semaine dernière”, nous confie l’ex-grand reporter, déjà auteur du livre Molenbeek-sur-Djihad en 2017.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre sur la montée de l’islamisme dans les écoles?
J-PM: En fait, dans la genèse de la gestation de ce livre, il y a des échanges entre Laurence et moi, le résultat de notre expérience au Proche-Orient, au Maghreb, dans le Sahel. On a été tous les deux intrigués par ces assauts contre l’école dans certains pays, notamment avec Boko Haram au Nigeria, et puis au Cameroun aussi. Et de fil en aiguille, l’idée a germé. Ensuite, on a été encouragés par la sortie du film “Amal, un esprit libre”. À ce moment-là, alors qu’on avait déjà vu quelques professeurs, c’est le coup de démarrage de notre enquête. Les langues ont commencé à se délier. Les professeurs sont venus vers nous. On les a appelés, un par un, et puis ils nous parfois ont renvoyés vers des autres enseignants qui avaient été confrontés à la même problématique. C’est ainsi qu’on a commencé à faire le tour de la Belgique francophone.
LD: La France a été marquée par les deux assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard. Du coup, il y a eu une véritable prise de conscience par rapport à ce phénomène. Contrairement à la Belgique francophone, qui n’a pas pris la mesure du problème, qui n’a pas recensé les incidents et ne dispose pas vraiment de politique à l’égard de cette question. Cela a joué aussi dans notre motivation à tous les deux.
J-PM: Ce qui a aussi motivé notre démarche, ce sont les derniers rapports de la Sûreté de l’Etat et du Comité R, qui depuis trois ans mentionnent, de façon très superficielle, le problème dans les écoles. Les services de sécurité ont été alarmés et ça fait partie des éléments qui nous ont poussés à investiguer.
Est-ce qu’en écrivant ce livre, vous n’avez pas eu peur du procès en racisme ou en islamophobie qu’on pourrait vous faire?
J-PM: Non, on n’a pas du tout pensé à des menaces ou à avoir peur. On trouvait intéressant d’en parler, il n’y avait pas de tabou à ce niveau-là.
LD: On fait bien la distinction entre l’islam et l’islamisme. C’était très important pour nous de faire la distinction entre une religion et une idéologie. C’est vrai que certains, par facilité intellectuelle, nous qualifient d’extrême droite ou d’islamophobes, mais finalement, on l’a assez peu vécu. On tenait tous les deux à être nuancés sur le sujet dès le début.
J-PM: Le procès en islamophobie, il est plus marqué en France qu’ici, parce que c’est en fait le prétexte utilisé par des groupes islamistes pour empêcher que le débat ne vienne effectivement sur la scène publique. Le but du livre n’est pas de véhiculer une pensée contre quelle que soit religion que ce soit. C’est un livre bienveillant.
Certains détracteurs du livre se demandent si les témoignages que vous avez récueillis sont vraiment représentatifs. Qu’est-ce que vous leur répondez?
J-PM: C’est un échantillonnage. C’est plus d’une soixantaine de profs, parmi eux d’ailleurs un tiers de professeurs de confession ou de culture musulmane. On ne pouvait pas forcément aller dans toutes les écoles. Il ne s’agit pas d’un travail d’anthropologue ou de sociologue. On a fait un travail de journaliste. On a soulevé une question. On est allé dans toutes les régions et essayé de cibler un certain nombre d’établissements en proie à ces phénomènes. Depuis la sortie du livre, il ne se passe pas un jour sans que je reçoive un mail ou un message d’un professeur qui nous encourage et qui regrette de ne pas avoir pu collaborer.
LD: Si cette question était si marginale, je pense que notre livre n’aurait pas eu un tel écho. La réception par le public de ce livre prouve que ce n’est pas une invention, que ce n’est pas marginal. C’est un mouvement qui s’inscrit de longue date.
Dans le livre, vous faites la distinction claire entre islam et islamisme. Est-ce qu’il y a parfois une confusion entre les deux selon vous?
LD: Il est vrai qu’il est complexe de comprendre l’islam, mais on est obligé d’opérer cette distinction. L’islamisme est une idéologie conquérante qui utilise la religion pour s’imposer comme unique manière de vivre l’islam. C’est évidemment issu de l’islam mais c’est une idéologie politique avec une visée totalitaire. La confusion peut aussi venir en raison du fait que l’islam n’établit pas de séparation entre la religion et l’État. Les pays musulmans sont en crise par rapport à cette question. Face à cette crise, l’islamisme est venu en force pour répondre à cette crise identitaire, mais on ne peut pas faire la confusion. L’islam se vit à de nombreux endroits sur cette planète de manière pacifique et privée.
Pour certains, les phénomènes que vous décrivez dans le livre sont la conséquence inéluctable de l’immigration que l’on connait en Europe occidentale. Vous partagez cela?
JPM: Je pense qu’on ne peut pas faire le lien directement parce que les populations migrantes ne sont pas toutes de confession musulmane. Toutes ne pratiquent pas ou n’adhèrent pas à cette idéologie fondamentaliste. Faire ce lien serait malheureux car il pourrait être qualifié de discrimination, de rejet de l’autre voire d’islamophobie.
LD: Il y a juste une évidence quand même. C’est clair que s’il n’y avait pas des populations immigrées, il n’y aurait probablement pas cette idéologie, mais en aucun cas cela veut dire que toutes ces populations y adhèrent ou la partagent. Beaucoup s’en distancient. Cet islamisme dont on parle concerne davantage les 3e et 4e générations que l’immigration récente, qui me semble plus concernée par sa survie économique. Les personnes sensibles à cette idéologie sont souvent de nationalité belge et font face à une crise identitaire.
J-PM: L’objet du livre n’est vraiment pas d’ouvrir un débat sur l’immigration. L’idée est de refaire société et éviter que la religion devienne prosélyte dans les écoles. C’est faire en sorte que l’étude des sciences, comme la philosophie, la biologie ou l’histoire, puisse continuer à être enseignée sans qu’elle soit contestée.
Quels ont été les retours des enseignants que vous avez interrogés? Comment ont-ils accueilli le livre? Selon Le Soir, deux enseignantes ont demandé à ce que leur témoignage soit retiré du livre. Est-ce exact?
J-PM: En effet, il y a deux institutrices qui se sont rétractées au dernier moment parce que leur entourage avait vraiment peur elles. Que ce soit leur mari ou leurs enfants, ils leur demandaient de ne pas figurer dans le livre.
LD: Certains sont revenus vers nous en étant très contents du livre. Pour d’autres, on en a moins entendu parler. Dans l’ensemble, ils ont plutôt trouvé que c’était très bien. Au cours de nos entretiens, certains professeurs ont parlé, avant de se rétracter deux jours plus tard en disant qu’ils n’avaient finalement pas envie d’en parler, sous la pression de l’entourage. Les professeurs de confession musulmane sont peut-être les plus courageux car ils se sont déjà affranchis du regard de leur communauté. Ce n’est pas spécialement eux qui ont fait marche arrière.
Quelles sont vos pistes de solution pour lutter contre ce prosélytisme à l’école?
J-PM: Des procédures doivent être mises en place pour être à l’écoute des professeurs et faire remonter les signalements au ministère de l’Éducation. En France, après les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard, des mesures ont été prises. Les signalements remontent et les professeurs peuvent demander des protections. Des établissements peuvent être secondés s’ils le désirent lorsque des cas extrêmement compliqués se présentent. On a fait notre travail de journalistes, maintenant c’est aux politiques, aux associations, aux syndicats de s’emparer du problème. Il faut refaire de l’école un lieu d’instruction et non de prosélytisme.