Une « forte mobilisation », de « belles concentrations à Bruxelles et en Wallonie ». La grève générale organisée ce lundi dans le secteur de l’enseignement a été bien suivie, selon le front commun syndical (CSC-Enseignement, CGSP-Enseignement, SLFP-Enseignement, Setca-SEL). À l’origine de ce mouvement, la volonté de dénoncer les mesures d’économie prévues par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) : augmentation de 10 % de la charge de travail pour les enseignants du secondaire supérieur, réduction de la durée des DPPR (disponibilité précédant l’âge de la retraite), diminution des moyens affectés à la gratuité, dotation non indexée et risques de pertes d’emplois. « Beaucoup d’écoles, qui habituellement manifestent peu et où le message syndical passe difficilement, se sont mobilisées », affirme Roland Lahaye, secrétaire général du syndicat chrétien. « Des directions d’écoles ont également pris part au mouvement, ce qui est une nouveauté. »
Partout en Wallonie et à Bruxelles, des actions variées – distributions de tracts, piquets de grève, marches funèbres ou rassemblements spontanés – ont été recensées à Tournai, Mouscron, Charleroi, Nivelles, Arlon, Namur, Liège, Huy et dans la capitale. Difficile donc de faire un décompte précis de l’ampleur de la participation. « Nous voulions laisser aux enseignants la liberté de s’exprimer et de concevoir leurs propres formes d’action », précise Roland Lahaye. « Sans concertation préalable, les équipes ont abandonné les couleurs syndicales au profit du noir, couleur symbole du deuil. »
A Bruxelles, entre 1.000 et 1.500 membres du personnel enseignant, rejoints par des élèves, se sont réunis Place Surlet de Chockier, devant le siège de la FWB. A Liège, plus de 2.100 personnes selon la police et 4.000 selon les syndicats ont rallié le cortège parti de la place du XX août, en direction de l’Opéra royal de Wallonie. A Namur, les syndicats estiment la mobilisation à 1.000 individus avec une place Saint-Aubain bien remplie. Dans d’autres villes wallonnes, quelques centaines d’enseignants étaient rassemblées. « Les enseignants ont besoin de se rassembler pour exprimer leur mécontentement et confronter leurs réalités », observe Masanka Tshimanga, présidente de la SLFP-Enseignement. « Puisque le gouvernement refuse de reconnaître les difficultés du métier, cette journée leur permet de se sentir moins seuls. »
Le soutien des directions
Dans plusieurs établissements, l’appui des directions s’est révélé déterminant. La semaine précédente, trois associations de chefs d’établissement – représentant respectivement les réseaux officiel, libre confessionnel et libre non confessionnel – ont exprimé leur soutien au personnel en grève. Alain Koeune, directeur du collège Notre-Dame de Dinant et président de la Feadi (Fédération des directions de l’enseignement secondaire catholique), précise ne pas se prononcer sur le mouvement syndical lui-même, mais bien sûr la légitimité des revendications du corps enseignant. « Qu’on approuve ou non l’augmentation de la charge horaire, il existe un véritable problème de méthode, puisque les décisions du gouvernement sont prises sans concertation. L’enseignement francophone souffre d’un manque de lisibilité quant à son avenir, ce qui est inédit. »
« Le soutien des directions nous permet de nous sentir légitimes », confie Isabelle Plenevaux, professeure de français dans le degré supérieur. « Nous avons le sentiment que les syndicats ne sont plus entendus, qu’ils ne peuvent plus pleinement jouer leur rôle d’intermédiaires auprès du gouvernement. C’est pourquoi nous ressentons la nécessité de nous mobiliser encore davantage. »
Au Collège Jean XXIII de Woluwe-Saint-Pierre, ils étaient une quarantaine d’enseignants à cesser le travail sur un total d’une centaine de membres du personnel. Pour Isabelle, cette participation ne traduit pas un manque de conscience collective. « C’est une école qui n’a pas l’habitude de se mettre à l’arrêt. Plusieurs d’entre nous avions déjà fait grève le 14 octobre, donc financièrement c’est un peu compliqué. D’autres collègues étaient en voyage scolaire la semaine dernière et n’ont pas été informés des actions à leur retour. Enfin, beaucoup de jeunes enseignants n’osent pas encore se mettre en grève. »
Une rencontre avec la ministre
En fin de matinée, la ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), a reçu une délégation syndicale pour « une réunion très constructive où l’on a pu se dire les choses ».
« Les syndicats ont pu exprimer l’émotion des enseignants, moi j’ai pu dire que je regrettais les pertes d’apprentissage pour les élèves en ce jour de grève ». Elle souligne que les mesures prévues, bien que difficiles, visent à retrouver la maîtrise budgétaire afin de réinvestir durablement dans l’école, évoquant au passage un budget de 200 millions d’euros consacré à de nouvelles politiques.
Aucun retour en arrière n’est envisagé sur l’augmentation de deux périodes face à la classe dans le secondaire supérieur. « Le message, c’est qu’il y a une charge « face classe » qui est inférieure de 30 % par rapport au reste de l’OCDE, et aussi inférieure de deux périodes par rapport aux professeurs du secondaire inférieur, alors que par ailleurs les profs du secondaire supérieur gagnent 25 % de plus », argumente-t-elle.
Selon la ministre, la charge supplémentaire demandée permettra à la fois d’alléger la pénurie et de rééquilibrer les coûts. « Mais on ne fera plus d’économie sur l’école, ce plan d’économie est prévu pour les quatre prochaines années, les syndicats peuvent être rassurés. »
Les représentants syndicaux, eux, demeurent farouchement opposés à cette vision de l’école. « Nous sommes face à des mesures d’austérité budgétaire : le gouvernement détériore les conditions de travail des enseignants », appuie Luc Toussaint, président de la CGSP Enseignement. « Les discours politiques tendent même à assimiler les enseignants à des fainéants qui devraient travailler davantage. »
Le syndicat libéral note néanmoins la proposition de la ministre d’ouvrir deux groupes de travail : l’un sur la réduction de la charge administrative, l’autre sur la gestion financière. « Il y a eu en échange en ce sens notamment, par exemple, sur la simplification administrative, mais nous ne commenterons pas plus car les syndicats ont demandé de pouvoir remonter vers leurs instances avec cette proposition », évoque le cabinet de Valérie Glatigny.
Vers un mouvement « relativement long »
Le front commun syndical se réunira cette semaine pour évaluer la mobilisation du 10 novembre et définir la suite à donner. « Je peux me tromper, mais je n’ai pas l’impression qu’on peut repartir dans un modèle de grève au finish », déclare Roland Lahaye. « Les temps ont changé, mais comme dans les années 1990, les initiatives peuvent toujours venir de la base. Nous saurons trouver d’autres modes d’action. »
Pour Luc Toussaint, il s’agit désormais de s’inscrire dans un mouvement long, capable de durer. « Ce serait très étonnant que le gouvernement fasse marche arrière après une journée de grève. Notre objectif est de sensibiliser la population à la nécessité d’un enseignement de qualité. » Les syndicats appellent déjà les enseignants à participer à la grève interprofessionnelle du 26 novembre, aux côtés des autres secteurs.

