Tous les enfants de maternelle et de primaire pourront bénéficier de matériel gratuit. Mais les écoles disposeront, pour y parvenir, d’un budget fortement revu à la baisse.
oilà un futur décret qui risque de compliquer singulièrement la vie des directions d’écoles… Un peu avant les vacances de Toussaint, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (MR-Les Engagés) a adopté un avant-projet de décret-programme qui précise une série de mesures d’économies inscrites dans le budget – de crise – 2026. En tête de ces mesures, quelques articles qui bousculent radicalement l’organisation de la gratuité scolaire dans l’enseignement fondamental.
Flash-back pour comprendre. L’obligation de mettre gratuitement à disposition des élèves les fournitures dont ils ont besoin remonte au Pacte scolaire de… 1958. Les interprétations divergent pour savoir si les subventions dont bénéficient les écoles doivent servir à couvrir ces dépenses. En 2022, l’ancien gouvernement PS-MR-Ecolo a tranché en dotant progressivement les écoles de moyens complémentaires pour financer la gratuité : 50 euros indexés annuellement par élève de maternelle depuis la rentrée 2022, 75 euros indexés par élève de première et deuxième primaires depuis la rentrée 2023. Le dispositif a été étendu à la troisième primaire en 2024. Rien par contre pour la quatrième en 2025, dans l’attente d’une évaluation générale des dispositifs de gratuité. Alors que le financement de cette politique flirte avec les 24 millions d’euros et que cette évaluation n’a pas encore eu lieu, le gouvernement précise ses intentions dans ledit avant-projet de décret que Le Soir a pu consulter. En réalité, invoquant des objectifs de simplification administrative et de rationalisation budgétaire, il bouscule tout.
Egalité des chances
« L’accès aux fournitures scolaires constitue sans conteste un levier essentiel pour garantir l’égalité des chances et le bon déroulement des apprentissages », justifie le gouvernement dans les annexes de l’avant-projet de décret, mais la limitation à la troisième primaire « engendrait des disparités dans les conditions d’apprentissage au sein même du parcours fondamental ». Il rappelle les termes du Pacte de 1958 qui prévoient que les écoles reçoivent des subventions de fonctionnement « pour couvrir les frais afférents au fonctionnement et à l’équipement de l’établissement et de l’internat, et à la distribution gratuite de manuels et de fournitures scolaires aux élèves soumis à l’obligation scolaire ». Pour le gouvernement actuel, « il ressort clairement de cette disposition que la dotation globale ou la subvention incluait d’ores et déjà le coût de la distribution gratuite de manuels et de fournitures scolaires aux élèves de l’enseignement obligatoire ». On voit de suite poindre un argument en faveur des nouvelles dispositions : « Les moyens alloués aux établissements doivent leur permettre de remplir leur obligation de mise à disposition gratuite des fournitures scolaires. » De plus, rappelle le gouvernement, « il est utile de mentionner à cet égard le subventionnement des familles qui perçoivent, pour la rentrée scolaire, un montant via leurs caisses d’allocations familiales (…). La prime de rentrée constitue une aide substantielle destinée à alléger la charge financière des familles ».
De là à remodeler totalement la politique en la matière, il n’y a qu’un pas. Mesure un : à partir de la rentrée 2026, ce ne sont plus 24 millions qui seront consacrés à la gratuité des fournitures scolaires mais bien 11 millions. Mesure deux : la gratuité est étendue d’un coup à l’ensemble des années primaires. Mesure trois : les montants par élève sont largement revus à la baisse, 20,46 euros par enfant en maternelle (contre 62,58 euros actuellement) et 24,52 euros par enfant en primaire (contre environ 77 euros aujourd’hui). Mesure quatre : la mise à disposition des fournitures scolaires nécessaires au suivi des activités pédagogiques devient une condition de subventionnement et d’accès aux dotations pour les établissements. En d’autres termes, l’école aura l’obligation d’organiser la gratuité scolaire si elle veut continuer à bénéficier de ses subventions de fonctionnement habituelles, la nouvelle politique n’est là que pour « soutenir cette obligation ». Par contre, et ceci est contre-intuitif par rapport à ce qui précède, les annexes du décret précisent que, « conformément au principe d’autonomie, le pouvoir organisateur peut organiser librement l’organisation et la distribution de ces fournitures, en fonction de sa réalité de terrain ».
Moins de repas gratuits
Toujours au chapitre gratuité, le même avant-projet de décret revient sur les moyens dont bénéficient les écoles à encadrement différencié (parce qu’elles concentrent un public défavorisé, elles bénéficient d’un meilleur encadrement, de davantage de subventions de fonctionnement et d’un accès au financement de repas gratuits). Les budgets de fonctionnement complémentaires de ces écoles seront réduits de 18,4 à 9,4 millions d’euros. Par ailleurs, le décret qui organisait les repas gratuits sera abrogé mais les deux tiers des moyens prévus (14 millions sur 21) seront réinjectés au bénéfice de ces écoles pour poursuivre la politique de dîners gratuits. Les modalités restent toutefois à préciser.
DPPR : 24 mois maximum pour tout le monde
La gratuité n’est pas la seule visée dans l’avant-projet de décret. Le régime de DPPR – les dispositions de fin de carrière applicables aux enseignants – fait lui aussi l’objet d’une réforme. Pour faire simple, ils ont droit à une mise en disponibilité pour convenance personnelle dans la période précédant la pension de retraite (DPPR), genre un mois par année d’ancienneté. Elle peut être prise à temps plein à partir de 58 ans (et s’étendre sur 36 voire 42 mois) ou à temps partiel à partir de 55 ans. Dans ce dernier cas, elle peut s’étaler sur de nombreuses années.
Par contre, le pouvoir fédéral a mis son grain de sel dans le mécanisme. Il se prépare à limiter à deux ans toute forme de périodes de congé, de disponibilité ou d’interruption de carrière pour les fonctionnaires. Afin d’aligner la réglementation de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur les orientations de la réforme fédérale des pensions – qui n’existe pas encore dans les faits – l’avant-projet de décret propose de limiter les mises en disponibilité des enseignants (DPPR) à « maximum 24 mois quelle que soit l’ancienneté acquise et quelle que soit la quotité choisie ». Bref, un DPPR sera désormais maximum de deux ans à temps plein ou à temps partiel. « Ceci permet d’assurer que, comme aujourd’hui, les DPPR ne soient possibles que dans le cadre des périodes considérées comme assimilées pour le calcul et l’octroi de la pension par le Gouvernement fédéral sur lequel la communauté française entend se greffer », indique le gouvernement MR-Les Engagés. Les nouvelles règles s’appliqueront aux mises en disponibilité octroyées à partir du 1er janvier 2026.
Notons que des dispositions transitoires seront introduites « afin de garantir la sécurité juridique des agents déjà engagés dans un dispositif de DPPR avant l’entrée en vigueur de ce décret ».

