L’enseignement francophone est-il à la dérive ? – La Libre

Une chronique signée Stéphanie Heng, politologue et experte en communication et Alban de la Soudiere, polytechnicien, fonctionnaire international émérite. Les auteurs s’expriment à titre personnel.

Pisa est le Programme international pour le « suivi des acquis » des élèves de 15 ans, mis en place par l’OCDE au début des années 2000, avec évaluation tous les trois ans dans de nombreux pays. Les derniers résultats ont une fois de plus jeté une lumière crue sur les fragilités de l’enseignement en France, en Belgique francophone et dans une moindre mesure au Luxembourg : des systèmes assez différents, mais des symptômes similaires et un niveau inférieur à la moyenne OCDE. Recul depuis une vingtaine d’années et niveau absolu inquiétant en mathématiques et en lecture, décrochage scolaire persistant, enseignants en perte de repères et, enfin, incapacité criante à corriger les inégalités sociales.

Pourtant, les intentions politiques ne manquent pas : réformes structurelles, investissements budgétaires, tronc commun prolongé, nouveaux programmes… Alors pourquoi un tel sentiment d’échec ? Pourquoi a-t-on l’impression que, malgré les efforts, l’école francophone néglige sa mission fondamentale : enseigner les bases du savoir et du raisonnement, préparer à réussir ?

 

Un égalitarisme bien intentionné mais mal appliqué

Osons la question qui fâche : et si une partie du problème venait d’une conception dévoyée de l’égalité ?

Depuis plusieurs décennies, en France comme en Communauté française de Belgique, un discours dominant a progressivement évacué les notions d’exigence, de hiérarchie des savoirs, voire de mérite. Le tronc commun, les parcours scolaires indifférenciés longs, relevaient certes d’une volonté légitime de lutter contre les déterminismes sociaux mais cette stratégie, appliquée sans filet, a souvent produit l’effet inverse : en refusant de reconnaître les différences de rythme, de besoin ou encore d’ambition, on a creusé davantage les écarts.
 

Au-delà des structures, le mal est profond : l’école francophone ne sait plus très bien ce qu’elle doit transmettre, ni comment. »

 

Les familles les mieux armées contournent le système, multiplient les aides privées ou choisissent les établissements les plus « protégés ». Les autres décrochent tout simplement. L’école, au lieu de jouer son rôle d’ascenseur social, devient un miroir des inégalités.

Des systèmes différents, une crise de sens partagée

Certes, la centralisation rigide du système français n’est pas la communautarisation complexe de la Belgique. Et le modèle luxembourgeois, multilingue et plus pragmatique, a ses spécificités. Mais au-delà des structures, le mal est profond : l’école francophone ne sait plus très bien ce qu’elle doit transmettre, ni comment.

Sous prétexte d’ouverture ou de modernisation, on a parfois abandonné les fondamentaux : la rigueur, la clarté des objectifs, la valorisation du savoir, l’autorité bienveillante de l’enseignant. Le mot « excellence » est devenu suspect, comme s’il était incompatible avec la justice sociale.

Quelques pistes pour tenter de sortir de l’impasse

Il faut retrouver un équilibre lucide entre autonomie et exigence, entre équité et diversité des parcours, entre innovation pédagogique et transmission rigoureuse.

Sans école forte, il n’y a ni cohésion sociale, ni avenir commun. »

 

Quelques pistes s’imposent. L’une d’elles viserait à revaloriser le savoir comme outil d’émancipation et non comme simple compétence « utile ». Une autre piste consisterait à faire davantage confiance aux enseignants en les soutenant dans leur rôle, au lieu de les submerger de réformes. Enfin, assumer des exigences, tout en les rendant claires, lisibles et compréhensibles par tous.

Le chantier est certes important, mais il est temps de s’y atteler. Car sans école forte, il n’y a ni cohésion sociale, ni avenir commun. Le monde francophone, riche de sa diversité, mérite une ambition éducative à la hauteur de ses valeurs.

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