C’est un appel à l’aide. Un appel à la dignité. Une sonnette d’alarme qui hurle dans le vide depuis trop longtemps.

Nous, directions des écoles fondamentales, sommes à bout de souffle. Epuisés, ignorés, méprisés. Chaque jour, nous assistons à la lente agonie d’une fonction qui tient encore debout uniquement par la passion et le sens du devoir. Mais même cela ne suffit plus.

Cela fait près de 30 ans que nous, les directions du réseau libre, interpellons les autorités avec nos revendications. Trente ans de mémorandums, de rapports, de réunions, d’espoirs déçus. Et que nous a-t-on offert en retour ? Rien. Pas même une chaise autour de la table des décisions. Quand les syndicats défendent les enseignants, les fédérations protègent les pouvoirs organisateurs, et les associations parlent au nom des familles… qui porte la voix des directions ? Personne. Nous ne sommes pas conviés à la table des acteurs de l’enseignement. Nous ne sommes pas considérés comme tels. Et pourtant, si l’école tient encore debout c’est en grande partie grâce à nous.

Les études le disent. Le terrain le crie. Les directions sont des pièces maîtresses à ne pas négliger. Mais le politique reste sourd. Il est plus facile de faire semblant d’écouter que d’agir.

Une inégalité devenue indécente

La situation dans les écoles fondamentales est devenue indéfendable. Sur le plan du financement, les écarts sont flagrants : un élève de primaire est subsidié à hauteur d’environ 650 €, un élève du secondaire, 950 €. Un enfant en maternelle ? 530 €. Et pourtant, les besoins n’ont jamais été aussi grands. Les défis pédagogiques, sociaux et humains y sont immenses. Les coûts d’entretien (nettoyage, chauffage, travaux) similaires. Pourquoi cette différence ? Où est la justice ? Un enfant de 5 ans n’est pas égal à un enfant de 8 ans ?

Sur le plan de l’encadrement, le déséquilibre est tout aussi choquant. Une école secondaire de 600 élèves bénéficiera d’une direction, d’une direction adjointe, d’éducateurs, d’économes, de personnel administratif. Une école fondamentale de même taille ? Une direction. Seule. Un contre neuf. A elle de gérer tout : administration, ressources humaines, entretiens des bâtiments, communication, repas, surveillance, conflits, bulletins, sécurité, circulaires, projets pédagogiques, et j’en passe. Une mission impossible devenue la norme.

Et quand la pression monte, quand le moral s’effondre, quand les directions tombent comme des mouches, la réponse est toujours la même : le silence.

Violences ordinaires, responsabilités extraordinaires

A cette surcharge logistique s’ajoutent des pressions sociales de plus en plus insoutenables. L’école est devenue le réceptacle de toutes les tensions de la société : agressivité croissante de certains parents, défiance généralisée, individualisme exacerbé. Chaque décision est scrutée, remise en question, contestée. Il ne s’agit plus d’éduquer, mais de se justifier, de s’expliquer, de se défendre.

Prenons un exemple concret : le décret « harcèlement ». Une bonne intention sur le papier. Mais dans les faits, qui gère les plaintes ? Qui mène les enquêtes ? Qui reçoit parents et enfants, parfois dans des climats hostiles ? Encore une fois : la direction. Sans formation, sans ressources, sans soutien. Le ministère se décharge de cette problématique sur le dos des directions.

Nous vivons une forme de schizophrénie institutionnelle. On nous demande d’être des gestionnaires, des médiateurs, des experts pédagogiques, des chefs d’orchestre et des pompiers. Mais on nous traite comme de simples exécutants.

Vers une extinction programmée ?

Il n’est plus étonnant aujourd’hui que le métier ne fasse plus rêver. Les vocations s’effondrent. Les départs s’enchaînent. Même l’un des derniers avantages, celui d’une pension décente, vient de disparaître. Il ne reste plus que la fatigue, la frustration et un engagement devenu dangereux pour la santé physique et mentale.

Et pendant ce temps, les décideurs répètent qu’ils construisent « l’école de demain ».

Mais on ne bâtit pas l’école de demain sur des fondations en ruines. On ne la construira pas en laissant crever ceux qui la dirigent aujourd’hui.

Il est temps d’agir. Pas demain. Maintenant.

Ce que nous demandons n’est pas un privilège. C’est une reconnaissance. C’est de la justice. C’est de la cohérence.

Car si rien ne change, si cette maltraitance institutionnalisée continue, c’est tout le système qui s’effondrera.

Et cette fois, personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.

Carte blanche

Par Bruno Hendrickx, président du Collège des Directeurs Bruxelles-Brabant Wallon (COBRA)