Près de la moitié des parents belges sont mis en difficulté financière par les voyages scolaires. Selon une récente étude de la Ligue des Familles, ces voyages scolaires mettent actuellement 41% des parents en difficulté financière. Faut-il en plafonner les frais pour lutter contre l’inégalité à l’école ? Entre nécessité pédagogique et réalité économique, le débat sur le plafonnement de ces coûts scolaires était vif dans l’émission Le Monde en direct.
Les voyages scolaires, véritables fabriques à souvenirs pour les élèves, deviennent un casse-tête financier pour de nombreuses familles belges. Selon une récente étude de la Ligue des familles, ils mettent près de la moitié des parents en difficulté financière.
Les montants varient considérablement selon les établissements et les destinations : de 65€ pour trois jours dans l’enseignement spécialisé jusqu’à 2.300€ maximum pour certains voyages de rhéto.
« Plus les enfants grandissent et plus ça devient cher. Et ça explose avec les voyages de rhéto où un montant de 1.500€ n’est pas surprenant« , dénonce Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec (Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique) dans Le Monde en direct.
La situation peut devenir intenable pour certaines familles. « Imaginez une famille avec trois enfants. L’aîné est en voyage de rhéto. En quatrième, il y a le voyage linguistique et il y a le petit qui va en classe de neige, et ça la même année. Mais pour certaines familles, ce n’est pas possible« , souligne-t-il.
Le constat est alarmant : « Certains vont jusqu’à prendre des emprunts pour pouvoir financer ces voyages« , révèle Bernard Hubien.
Un décret voté mais non appliqué
Face à cette situation, le délégué général aux droits de l’enfant, Solayman Laqdim, rappelle qu’un cadre légal existe déjà. « Le Pacte pour un enseignement d’excellence le prévoyait. Il y a eu un décret qui a été voté et qui prévoit ce plafonnement. Donc, il y a eu un accord des différentes formations politiques« , précise-t-il.
Pourtant, malgré cet accord politique, le plafonnement n’est toujours pas effectif.
« Ce qui m’inquiète, c’est que les inégalités ne font que se creuser. Et pourtant la lutte contre ces inégalités sociales est quasi absente du débat », déplore Solayman Laqdim.
La mise en œuvre du plafonnement se heurte à plusieurs obstacles. Si un système existe déjà pour le niveau maternel, la situation est plus complexe pour le primaire et le secondaire où les disparités entre écoles sont importantes.
L’humiliation du recours aux fonds de solidarité
Bien que des fonds de solidarité existent dans les établissements, leur accès reste problématique. « Pour les familles où les fins de mois sont un peu difficiles tous les mois, aller se déclarer en difficulté à l’école, c’est quelque chose de très compliqué. C’est une grande humiliation. C’est aussi la peur que le regard posé sur son enfant change parce qu’on est en difficulté« , témoigne Bernard Hubien de l’Ufapec.
Des écoles s’adaptent et innovent
Face à ces contraintes budgétaires, les établissements scolaires rivalisent d’inventivité.
Béatrice Barbier, présidente du Collège des directeurs de l’enseignement fondamental catholique et directrice de l’école Les Chardons à Chastre-Villeroux-Blanmont, explique avoir fixé une limite dans son établissement : « Chez nous, on a mis une limite à 65€ pour trois jours, 35€ par jour« . Elle ajoute : « Aucun enfant ne sera exclu. Il y a des fonds de solidarité dans toutes les écoles« .
Parmi les solutions mises en place par les écoles, Béatrice Barbier évoque :
- des systèmes d’épargne étalés sur un ou deux ans
- des actions de financement (ventes de lasagnes, chocolats,…)
« On est là pour les aider tous et on réfléchit de plus en plus, non seulement au pays où on va, mais aussi à l’écologie, à nos programmes. On ne part pas n’importe où et n’importe comment« , explique Béatrice Barbier.
Laurent Hannet, chef des travaux à l’Institut Maria Goretti à Liège, évoque de son côté le recours à des fonds européens.
« Chaque année, maintenant, nous mettons en place des bourses Erasmus« , explique-t-il. Poursuivant: « Malheureusement, notre direction a été contrainte de restreindre au maximum les activités culturelles qui sont pourtant bien importantes pour ces jeunes. D’ailleurs, chez nous, il n’y a plus que deux voyages annuels« .
Toutes les écoles n’ont pas les mêmes réalités
La question du plafonnement des coûts doit aussi tenir compte de réalités diverses vécues par les écoles. Béatrice Barbier met en garde : « Entre une école de Bruxelles qui peut visiter facilement des musées et une école d’Arlon ou une école qui se trouve à la campagne dans le Brabant wallon, ce n’est pas la même réalité« .
D’autant que les coûts de transport ont explosé. « Un voyage en autocar aujourd’hui coûte nettement plus cher qu’il y a quelques années« , constate Bernard Hubien.
Une valeur pédagogique pourtant indéniable
Malgré les difficultés financières, l’importance pédagogique des voyages scolaires fait l’unanimité autour de la table. « Je pense que ça reste important de partir parce que on découvre les enfants autrement et c’est important pour les enseignants« , souligne Béatrice Barbier.
Bernard Hubien rappelle que « en primaire, certains enfants qui vont aller en classe verte logeront pour la première fois hors du cercle familial. C’est une expérience très formatrice.«
Pour Solayman Laqdim, « il y a une dimension pédagogique qui est super. Ça permet de favoriser le climat scolaire et la cohésion scolaire« . D’autant plus que « trois familles sur dix en Wallonie ne savent pas partir une semaine en vacances par an ».
« On peut trouver des moyens », estime le délégué général aux droits de l’enfant
Pour Solayman Laqdim, la solution passe par des choix budgétaires clairs. « Quand vous faites un budget, vous faites des choix politiques. Et même dans un contexte de pénurie, on peut trouver des moyens parce qu’il y a une énorme dispersion de moyens« , affirme-t-il.
Il prend l’exemple du redoublement scolaire qui coûte « entre 400 millions et 600 millions d’euros par an à la collectivité et dont on sait qu’il a peu d’impact sur la réussite ultérieure scolaire« . Ces montants, selon lui, pourraient être réaffectés.
« J’aimerais qu’il y ait davantage de cohérence, parce qu’au niveau européen, la Belgique a pris des engagements, notamment pour réduire les inégalités sociales dans ce qu’on appelle la garantie pour l’enfance« , conclut Solayman Laqdim.

