Après le décret Excellence, le décret cheveux ? – La Libre

Et si la vraie neutralité consistait simplement à laisser chaque femme choisir : son foulard, sa texture, sa perruque, sans en faire un obstacle à sa compétence ?

Une opinion de Binta Liebmann Diallo, coordinatrice de projet, infirmière sociale, fondatrice du dispensaire social et de DentalFLUX

Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a approuvé en première lecture un décret visant à renforcer la « neutralité » dans l’enseignement. Sur le papier, l’objectif semble noble : apaiser les tensions, protéger l’école. En réalité, ce texte légalise l’exclusion. Il ne parle pas de neutralité, mais de contrôle. Et il révèle ce que la Belgique refuse encore de voir : sa peur du foulard cache un malaise plus profond avec la liberté des femmes qui ne lui ressemblent pas.

Le foulard, miroir de nos contradictions

Chaque débat sur le foulard réveille les mêmes refrains : « C’est un signe d’oppression », « Pensons aux femmes d’Iran », « Défendons la liberté ». Mais les femmes d’Iran se battent contre l’obligation de le porter, pas contre le foulard lui-même. Elles se battent pour le droit de choisir. Et c’est précisément ce que la Belgique refuse ici : le droit de choisir aussi de le porter.

Interdire le foulard ne libère personne. Cela revient à remplacer une contrainte par une autre, et à considérer que certaines femmes seraient incapables de décider pour elles-mêmes. Au nom de la liberté, on leur retire l’autonomie.

Les codes changent, pas la domination

On prétend libérer les femmes du patriarcat religieux, mais on oublie la domination capitaliste qui les façonne ailleurs : dix couches de maquillage toxique, régimes permanents, injonctions à séduire et sourire pour paraître « présentables ». C’est une autre cage, simplement plus brillante.

Regardons la Reine Mathilde, un jour de Fête nationale, marchant sur les pavés de la Place Royale en talons aiguilles. C’est beau, c’est gracieux, c’est un code. Mais c’est aussi une contrainte. Faut-il pour autant la sauver ? Non. Parce qu’elle répond à un code, mais c’est son choix. Alors pourquoi une femme qui choisit le foulard deviendrait-elle suspecte ?

Cheveux afros : quand le « neutre » a les cheveux lissés

Certains cheveux ont toujours été politiques. Dans des milieux professionnels, les cheveux afros, les locks ou les tresses sont encore perçus comme « peu soignés », tandis que le lissage serait « professionnel ». C’est la même logique : on baptise « neutralité » ce qui est simplement la norme esthétique majoritaire.

Demain, au nom du « neutre », interdira-t-on les locks et les Afros ? Exigera-t-on des tresses « discrètes », comme on exige des foulards « invisibles » ? La neutralité ne peut pas devenir une police des textures. On ne construit pas la paix sociale en humiliant des chevelures naturelles ni en enseignant aux enfants que leur apparence ou celle de leur mère est un problème.

Les perruques, le silence et la loi

Dans le judaïsme orthodoxe, de nombreuses femmes mariées portent une perruque religieuse – le sheitel – pour se couvrir la tête. Elles le font par conviction spirituelle. Aucune polémique ne les vise. Et pourtant, la loi belge interdit toute discrimination fondée sur la religion : articles 10, 11 et 19 de la Constitution, article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Interdire à une femme musulmane ce que l’on tolère à une femme juive, c’est violer le principe d’égalité.

L’histoire se répète, simplement déplacée

Jusque dans les années 1970, certaines communes belges interdisaient encore aux femmes de porter un pantalon, jugé « vêtement d’homme ». Avant cela, il fallait parfois l’autorisation du bourgmestre ou du mari. Aujourd’hui, ce n’est plus le pantalon qui dérange : ce sont le foulard, les locks et les cheveux afros. Le corps féminin reste un territoire politique : on décide encore pour lui ce qu’il peut ou non montrer — et comment il doit repousser.

La neutralité, ce mensonge confortable

Ce décret ne protège pas la neutralité ; il protège la peur de la différence. Il transforme un principe de respect en critère esthétique. Et, dans cette esthétique, le visage « neutre » a souvent la même couleur, la même coiffure, la même texture.

Le message implicite est : « Étudie, mais n’espère pas enseigner si tu portes un foulard ». « Sois exemplaire, mais lisse tes cheveux. »

Cette hypocrisie fabrique des diplômées sans débouché, des citoyennes décoratives mais sans pouvoir. C’est l’inverse d’une démocratie mature.

Pour finir, une question

Si la neutralité exige qu’aucune tête ne soit couverte, elle doit s’appliquer à tout le monde. Faudra-t-il demander à la ministre de retirer sa perruque ? Rien ne prouve que sa tête, elle non plus, ne soit pas « couverte ». Mais cette couverture-là ne dérange personne, parce qu’elle correspond aux codes de la respectabilité majoritaire.

Et si la vraie neutralité consistait simplement à laisser chaque femme choisir : son foulard, sa texture, sa perruque, sans en faire un obstacle à sa compétence ?

 

Les textes qui paraissent dans la rubrique Débats sont des contributions externes, qui n’engagent pas la rédaction.

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