De plus en plus d’écoles s’engagent pour une alimentation locale, équilibrée et responsable. Dans la cantine colorée de l’école fondamentale de Walcourt, on apprend à aimer les légumes sans bouder les frites (et vice-versa).
Moi, j’aime pas les légumes ! », maugrée Olivia, six ans et bientôt toutes ses dents de devant. Schtroumpf grognon, elle concède toutefois des exceptions : « Sauf le maïs, le concombre et le brocoli. » Chacun de ses camarades pépie d’impatience pour donner son avis sur la question, ajoutant au brouhaha joyeux de la cantine de l’école fondamentale autonome de Walcourt (Philippeville). Cela va d’un « Je déteste la salade » intimé par Nathan, même âge et même sourire édenté, à un « J’aime pas trop ça », montrant d’un doigt accusateur les courgettes détaillées en petits cubes, de Célestin, six ans également, qui tranche avec malice : « Je préfère le chocolat ! »
Il est 11 h 45, un jeudi d’avant les vacances d’automne. Et ce jeudi-là, c’est le jour des frites, celui qu’on attend toute la quinzaine qui précède. Mais plus question de cumuler deux préparations grasses en les servant par exemple avec des fishsticks ni d’en proposer plusieurs fois par semaine. Ces principes s’inscrivent dans la recherche de l’obtention du label Cantines durables, un programme mis en place en 2019 par la Région wallonne. Son objectif : aider les cuisines de collectivités à rendre leurs repas plus sains, plus locaux et plus respectueux de l’environnement.
Un label pour mieux nourrir la collectivité
Comme les restaurants gastronomiques moissonnent des étoiles, les cantines qui veulent obtenir le label durable doivent récolter un, deux ou trois radis selon le nombre de critères exigés qu’elles remplissent : des fruits et légumes de saison, un repas végétarien hebdomadaire, la mesure du gaspillage, l’approvisionnement local ou bio… Concrètement, les étapes vers le label auréolé d’un premier radis imposent 22 critères à respecter, contre 35 pour le deuxième et 37 pour le troisième radis.
« L’engagement se fait sur base volontaire », explique Lyse Bauduin, chargée de communication de la Cellule Manger Demain, créée par la Région wallonne en 2018. « Nous accompagnons les cantines pendant dix-huit mois pour qu’elles puissent relocaliser leurs assiettes, réduire leur empreinte environnementale et obtenir le label Cantine durable. » En Wallonie, la dynamique prend de l’ampleur. « Nous comptons aujourd’hui 376 cantines signataires de cet engagement, dont 215 ont déjà obtenu leur label », détaille la jeune femme. Ces établissements vont des écoles primaires aux maisons de repos, en passant par les crèches et les restaurants d’entreprise. « Une quarantaine de communes sont également impliquées, soit environ 270 cantines publiques engagées dans la transition. » Autant de lieux où se redessine, jour après jour, une autre manière de nourrir la collectivité.
En cuisine, l’imagination au pouvoir
« Depuis qu’on s’est inscrits dans cette démarche, les frites sont toujours accompagnées de légumes et d’une viande », explique la cheffe de la cantine de l’école de Walcourt, Anne-Pascale Evrard. En l’occurrence, ce jeudi-là : des courgettes et du poulet. « On essaie au maximum qu’il y ait du plaisir et on organise par exemple des repas thématiques, comme l’Oktoberfest (mais sans la bière !) », illustre-t-elle de son grand rire sonore et franc. « Les enfants sont obligés de goûter de tout. Comme c’est un self-service, ils disent aux filles : “J’ai fort faim, je veux un gros bout”, ou “J’aime pas trop, je préfère une petite assiette”. Vu qu’on pèse désormais les déchets comme le veut la procédure, j’ai remarqué qu’il y en avait beaucoup plus le jour des frites… parce que les enfants ont les yeux plus gros que le ventre », observe la cantinière.
Les règles sont pourtant connues des « grands » de l’école : pour mériter une deuxième portion de frites, il faut d’abord avoir fini son assiette – et donc mangé ses légumes. Quant aux plus petits, ils sont invités gentiment à goûter de tout. Attablé avec ses copains de 1re primaire, Gaspard dévoile sa tactique : « Je garde les frites pour après, parce que c’est ce que j’aime le plus. Mais je mange de tout. A la cantine, on découvre plein de choses. » Susie, 10 ans, est bien d’accord : « Mon jour préféré, c’est le jeudi des frites, mais pas que ! C’est toujours bon, comme à la maison : c’est mon papa qui fait à manger tous les jours des trucs différents. J’aime manger », sourit l’adorable gourmande.
On épluche, on râpe, on coupe. On travaille avec des produits frais, souvent bio ou locaux. C’est plus de travail, mais c’est aussi beaucoup plus de satisfactionAnne-Pascale Evrard, Cheffe de la cantine de l’école de Walcourt
Dans la grande pièce aux murs colorés et aux larges fenêtres donnant sur la campagne environnante, les dames de la cuisine et les professeurs en charge de la surveillance du réfectoire veillent au grain. A force, ils connaissent les enfants, les appétits de moineau et d’ogre, comme ceux qui essaient de tricher en planquant les légumes pour les jeter ni vu ni connu… « Quand quelqu’un dit qu’il n’aime pas alors que je sais que ce n’est pas dans ses habitudes, je n’insiste pas », tempère madame Renato, l’institutrice de troisième primaire.
Eduquer, sensibiliser et responsabiliser les élèves
Mais chaque enfant doit aussi apprendre à se connaître. Responsabilisés dans la lutte antigaspi, les écoliers doivent décider au moment d’être servis s’ils veulent une petite ou une grande assiette. « En début d’année, on le répète beaucoup : il ne faut pas prendre trop quand on a une petite faim », rappelle l’institutrice, tout en raillant gentiment un élève : « Tiens, mon Lenny a mangé toutes ses courgettes et a survécu ! »
Pour Anne-Pascale Evrard, la transition vers une cantine durable n’a pas été qu’une affaire de recettes : c’est tout un mode d’organisation qu’il a fallu repenser et l’accompagnement de la Cellule Manger demain tout au long des dix-huit mois d’agréation constitue une aide précieuse. « Avant, on travaillait surtout avec des produits transformés », raconte-t-elle. « Les bouillons-cubes, les desserts tout prêts, les légumes en conserve… Aujourd’hui, on épluche, on râpe, on coupe. On travaille avec des produits frais, souvent bio ou locaux. C’est plus de travail, mais c’est aussi beaucoup plus de satisfaction. »
« Il y a une petite différence de coût », reconnaît la joviale cheffe de cuisine, « mais elle est compensée par le repas végétarien hebdomadaire. Un plat sans viande coûte moins cher, et cela nous permet d’acheter une viande locale et de qualité pour les autres jours. » Pour les parents qui inscrivent leur enfant au repas chaud, le prix n’a d’ailleurs pas varié : 2,50 euros en maternelle, 3 euros en primaire. Et en guise de collation, vers 10 h, c’est potage frais gratuit pour tout le monde.
Et la même logique s’applique jusqu’au dessert. « Avant, on servait surtout des biscuits, des glaces ou des donuts », se souvient Anne-Pascale Evrard. « Maintenant, un jour c’est un fruit, le lendemain un yaourt de la ferme. » Une simplicité qui n’exclut pas le plaisir : « Quand on fait un repas thématique, on prépare un dessert en lien avec le menu : un strudel pour l’Oktoberfest, un gâteau de citrouille pour Halloween… Les enfants adorent. »
Un enjeu de durabilité sans répercussion sur les coûts
Cette logique d’équilibre est au cœur du Green Deal Cantines durables. « Le but n’est pas de supprimer la viande, mais d’en consommer moins et mieux », explique Lyse Bauduin. « Le repas végétarien obligatoire une fois par semaine permet de dégager un budget pour des filières plus vertueuses. C’est une question de choix et d’organisation. Les cantines qui s’y engagent bénéficient d’un accompagnement gratuit de 18 mois et, le cas échéant, du coup de pouce « Du local dans l’assiette », un incitant financier pouvant aller jusqu’à 50 centimes par repas pour acheter local. Cela permet d’équilibrer le surcoût des produits de qualité sans répercussion sur le prix payé par les familles. » Une manière concrète de démontrer que la durabilité ne rime pas forcément avec cherté, mais avec responsabilité partagée.
Le repas végétarien obligatoire une fois par semaine permet de dégager un budget pour des filières plus vertueuses. C’est une question de choix et d’organisationLyse Bauduin, Chargée de communication de la Cellule Manger Demain
Le coup de pouce additionnel « Du local dans l’assiette » prend en charge maximum 50 % des factures en produits locaux et 70 % des factures en produits bio et locaux. Lyse Bauduin recense dans ses fournisseurs signataires 102 acteurs-producteurs, transformateurs et distributeurs et 13 coopératives. Un cercle vertueux pour les producteurs et acteurs locaux qui a aussi une visée pédagogique et de santé publique. « Ce n’est pas qu’un projet alimentaire », insiste-t-elle. « C’est une éducation à la santé et à la citoyenneté. »
Des coûts cachés de santé publique
Le projet de cantines durables engage une réflexion plus vaste sur l’économie du bien manger. Pour Lyse Bauduin, la transition alimentaire est un investissement à long terme : « Nous avons calculé que les coûts cachés de notre système alimentaire actuel (ses impacts négatifs sur la société et l’environnement, NDLR) représentent près de 3.000 euros par an et par habitant. Et environ 70 % de ces coûts sont liés à la santé. » Derrière ce chiffre, la porte-parole évoque l’impact des maladies chroniques liées à la malbouffe, la sédentarité, les déséquilibres nutritionnels ou encore les pathologies métaboliques comme le diabète. « Investir aujourd’hui dans des repas durables, c’est économiser demain sur les soins de santé », résume-t-elle. « Si tous les enfants avaient accès à un repas équilibré et durable à la cantine, ce serait un formidable outil d’inclusion sociale. Cela éviterait les tartines au chocolat sur pain blanc et permettrait à chaque élève, quel que soit son milieu, de bénéficier d’une alimentation de qualité. »
Une mise à niveau pour tous, qui offre aussi une même dose d’énergie aux enfants – même si aux dires de Madame Renato qui a fabriqué des « boules d’énergie » à base de fruits et de graines avec ses élèves, « ce n’est pas ce qui leur manque. » Olivia, la petite récalcitrante du début, a d’ailleurs fini par croquer dans une courgette avant de hausser les épaules : « En fait, c’est pas si mauvais que ça… » Un légume de plus à ajouter à sa liste d’exceptions – et une bouchée de plus vers un changement durable des habitudes alimentaires dès le plus jeune âge.

