Qui est concerné par l’analphabétisme en Belgique ? « Ce sont des personnes qui n’ont pas le niveau du CEB » – RTBF Actus

Malgré l’augmentation régulière des taux d’alphabétisme depuis un demi-siècle, il reste encore, selon l’Unesco, 754 millions d’adultes analphabètes à travers le monde, pour la plupart des femmes. En Belgique francophone, on estime qu’environ 10% de la population adulte demeure analpha­bète ou illettrée. Un phénomène qui entraîne encore exclusion sociale, culturelle, politique et économique. Tendances Première recevait Anne Coppieters, directrice générale de l’ASBL ‘Lire et Écrire’ pour la campagne ‘ABC les préjugés’ et le documentaire ‘Lire et Tracer’.

En Wallonie, près de 10% de la population rencontrerait des difficultés majeures avec la lecture et l’écriture. Un chiffre que l’ASBL Lire et Écrire estime pourtant sous-évalué. Les rares études disponibles le confirment : selon l’enquête PIAAC 2024 de l’OCDE, 18% des personnes âgées de 16 à 65 ans en Flandre peinent à comprendre un texte suivi. Une fragilité silencieuse qui touche des milliers d’adultes, voisins ordinaires dont personne ne soupçonne la lutte face aux mots, dont toute une série de gestes quotidiens sont entravés, notamment par le numérique. Marthe Diomande, une maman solo de cinq enfants raconte comment l’envoi d’un simple SMS est un véritable casse-tête :

Pour n’importe qui d’autre que moi, cela prend moins d’une minute. Mais moi, ça me demande tellement d’efforts. Je dois me creuser la tête, chercher les mots, les phrases pour pouvoir les placer.


Car il ne s’agit plus seulement d’illettrisme ou d’analphabétisme, deux notions que l’association ‘Lire et Ecrire’ préfère aujourd’hui dépasser. Beaucoup de ces personnes ont été scolarisées, parfois en Belgique, parfois ailleurs. Certaines parlent parfaitement le français sans pour autant pouvoir lire un document administratif. D’autres n’ont presque jamais fréquenté l’école. Anne Coppieters donne le profil de ces personnes en difficulté de lire et écrire : « Ce qu’on appelle analphabétisme et illettrisme en Belgique, ce sont des personnes qui n’ont pas le niveau du CEB. Ces personnes peuvent avoir certaines compétences en lecture et écriture, mais elles ont des difficultés à se débrouiller dans la vie. Se déplacer, pour suivre la scolarité de leurs enfants, mais aussi avec la numérisation des services publics, ils ont des difficultés à accéder à leurs droits fondamentaux en Belgique« .

L’analphabétisme : un phénomène sur plusieurs générations

Qu’est-ce qui explique qu’un jeune qui sort de l’école en 2025 rencontre des difficultés pour lire et écrire alors qu’il a vécu sa scolarité en Belgique ? L’expérience d’Anne Coppieters sur le terrain rend compte d’une concentration dans les milieux les plus précarisés, assortie d’un phénomène de reproduction sociale. Lorsque les parents ne maîtrisent pas les compétences de base, les enfants, eux aussi, sont exposés à un risque accru de décrocher à leur tour. Ainsi se perpétuent des générations entières que l’école, parfois, ne parvient pas à soutenir pointe la directrice de l’asbl Lire et Ecrire : « C’est un problème très complexe, parce que personne au niveau de l’enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles n’aborde réellement de cette question. Mais on parle de « publics », de « nids », des jeunes qui disparaissent des radars. Pour moi, les causes sont multiples et variées, mais il y a un phénomène de reproduction sociale. C’est dans les milieux les plus précaires belges que les problèmes se posent en termes de maîtrise des compétences de base en lecture et écriture. Beaucoup de problèmes de troubles « DYS » ne sont pas identifiés ou ne sont pas pris en charge. Si vous avez des parents qui ont des difficultés en lecture et écriture, les enfants sont en grand risque d’avoir des difficultés également« .

L’autre scénario rencontré, ce sont des personnes d’origine étrangère qui n’ont pas suivi leur scolarité en Belgique, qui ne parle pas la langue du pays, et qui de surcroît n’ont tout simplement pas bénéficié de l’accès à l’école dans leur parcours précise Anne Coppieters : « Ces personnes, francophones ou pas, ont été très peu scolarisées dans leur pays d’origine. Dans leur parcours d’intégration, ellesdoivent suivre des cours d’alphabétisation, plus que de français de langue étrangère. Ces personnes n’ont pas les repères suffisants pour pouvoir apprendre la lecture et l’écriture par ce biais-là« .


 
« Ça m’a fait pousser des ailes »

Le documentaire Lire et tracer, projeté dans le cadre du Mois du Doc, donne à voir le travail quotidien des formateurs. On y découvre comment une alphabétisation pensée comme un levier social peut transformer une trajectoire, ouvrir un horizon professionnel, rétablir l’accès aux droits, et surtout, redonner la possibilité d’agir par soi-même. Anne Coppieters souligne c’est une porte d’entrée pour s’intégrer à la société : « Permettre de créer du lien social et redonner confiance en soi, c’est l’enjeu fondamental de notre formation. Procurer de l’estime de soi à des personnes qui s’enferment. Leur permettre d’affirmer leurs compétences, leur capacité d’avancer. Arriver à lire et écrire, alors qu’on leur a dit, toute leur vie qu’ils étaient nuls, et n’en étaient pas capables« .

Pour Marthe, l’une des deux protagonistes du documentaire ‘Lire et tracer, le chemin parcouru grâce à l’appui de l’association Lire et Ecrire l’a emmenée jusqu’à témoigner de sa situation au Parlement. Une prise de parole inimaginable pour cette grande timide qui s’était réfugiée dans l’ombre de son fils de neuf ans pour accomplir les tâches de la vie quotidienne liée à la lecture et l’écriture. « Je sors toute seule maintenant. Je lis les panneaux. Je peux prendre mon train, partir où je veux, sans mes enfants. Avant, c’était impossible. Ça m’a fait pousser les ailes. J’ai vraiment pris confiance en moi » se réjouit-elle.

 

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