«On a reçu des courriers parce qu’on avait séparé leurs garçons trop bavards»: enquête sur les relations tendues entre parents et profs – Le Vif

Alors que la «coéducation» est prévue depuis 2009, les parents peinent toujours à trouver leur place à l’école. Ce qui génère des tensions. Les profs, eux, se plaignent de parents trop présents ou absents. Enquête sur ce paradoxe.

«Y aura-t-il des sorties cette année?» Ce parent ne s’en doute pas au moment de lever innocemment la main à la réunion de rentrée: sa question a le don d’irriter les enseignants. «Dans ces moments-là, je me dis que les parents n’en ont rien à faire de notre pédagogie», déclare Cécile, institutrice. Pourtant, cette année, comme depuis douze ans, elle a souri, forcément, et répondu «oui, trois sorties scolaires sont prévues».

Sur le malentendu entre les parents et les enseignants, les anecdotes sont légion. La preuve? La littérature abondante qui lui est consacrée. Ici, ce sont des profs qui livrent des conseils pour «communiquer sereinement avec les parents», «se préparer à un entretien avec des parents d’élèves» ou des «kits pour gérer les relations parent-prof-élève». Là, comme pour leur répondre, ce sont des parents eux-mêmes qui proposent un «manuel de survie à l’usage des entretiens parents-profs» ou une «méthode pas à pas pour communiquer avec un enseignant».

 

Y aurait-il un tel monde, entre l’école et hors de ses murs, pour qu’il faille des leçons pour parler «le prof»? Il semblerait que oui. Même si, depuis 2009, la «coéducation» est un mot d’ordre, une volonté politique, prônée dans le Pacte pour un enseignement d’excellence. Et qu’une certaine défiance commune existe toujours. «Les profs ont peur du jugement des parents, et réciproquement, admet Cécile, institutrice. Moi-même, quand j’ai débuté, je me cachais un peu des parents. Je craignais qu’ils me trouvent trop jeune. Certains d’ailleurs m’en avaient fait la remarque.»

A qui en attribuer la faute? D’abord aux parents et aux évolutions sociétales, répond le monde enseignant. En témoigne la récente enquête internationale Talis, présentée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’institution a sondé quelques 280.000 enseignants et chefs d’établissement du secondaire inférieur dans 55 systèmes éducatifs. Le résultat est sans appel: en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), moins de 50% des profs se disent valorisés par les parents de leur école, contre une moyenne de 65% au sein de l’Union européenne. Dans une étude sur le climat et le bien-être scolaire, menée en 2022 et 2023, des chercheurs de l’UCLouvain et de l’ULiège ont notamment interrogé les enseignants sur leur perception du lien école-parents. En primaire, les profs attribuent un score de 7,8 sur une échelle de 10 quant à l’existence d’un «dialogue constructif et attentif avec les parents». En secondaire, il est de 6,7 sur une échelle de 10.

Au-delà des chiffres, il y a aussi les constats dressés par le «terrain». Individualisme, consumérisme, démission face aux écrans, punitions jugées «injustes» ou «abusives», hyperattention concernant leur enfant, forcément «dys», «hyperactif» ou «HPI». «Le prof est souvent la cible des parents qui le jugent responsable de tous les problèmes d’éducation de leurs enfants. Ils donnent systématiquement la priorité à leur parole», poursuit ce préfet. Les contentieux portent principalement sur les questions d’échec, l’orientation et les règles disciplinaires.

Essor d’un «individualisme expressif»

Ces contestations de l’expertise alimentent le sentiment de dévalorisation chez les enseignants. Sans compter l’explosion des recours visant les décisions du conseil de classe. Entre 2013 et 2023, leur nombre a grimpé de 50% dans le secondaire. Alors que durant la même période, la population scolaire, en secondaire, a augmenté de 5,2%. «Que les fonctions d’autorité souffrent n’est pas neuf. C’est vrai pour le prof comme pour le médecin qui se fait contredire ou pour le pompier que se fait agresser, observe Marc Romainville, professeur en sciences de l’éducation (UNamur). L’essor de « l’individualisme expressif » (chacun a le droit de se prononcer sur tout et de le faire sous une forme plus expressive) est un mouvement général qui remet en cause l’autorité qui autrefois été associée au statut. Désormais, c’est par l’action, et non plus la fonction, que l’on obtient l’autorité.» Cet individualisme expressif a également multiplié la capacité des élèves à contester, à remettre en question.

«Désormais, c’est par l’action, et non plus la fonction, que l’on obtient l’autorité.»

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