En tant que co-auteur d’un rapport sur le budget de la Fédération Wallonie Bruxelles, je suis interpellé par le témoignage d’une enseignante paru récemment dans « La Libre ». Voici ma réponse.
Une opinion de Philippe Defeyt, économiste La Libre a publié, le 7 octobre dernier, une opinion intitulée « Lettre d’une enseignante qui fait plus que « la norme des 20h par semaine ». Je fais partie de ces experts, auteurs d’un rapport sur le budget de la Fédération Wallonie Bruxelles, interpellés par ce message venant du terrain. Rappelons d’abord que le débat politique et budgétaire serait tout autre si la Wallonie revenait, ne serait-ce que partiellement, sur deux réformes fiscales (droits d’enregistrement et droits de succession) qui sont à la fois coûteuses et injustes. Faisant cela, elle pourrait soulager les contraintes budgétaires et de la Région et de la Fédération. Je crains qu’il n’y ait pas de majorité pour ce faire, ni politique ni peut-être même dans la population.
Précisons d’abord que ce qui est proposé pour les enseignants du secondaire supérieur ce n’est pas 24 heures semaine mais bien 22 périodes de 50 minutes de face-à-face pédagogique en classe avec les élèves, comme pour ceux du secondaire inférieur, contre 20 périodes aujourd’hui. À noter qu’avant les travaux du Pacte, les enseignants de l’enseignement du secondaire supérieur étaient tenus de prester 20 à 22 périodes (22 à 24 dans le cas des enseignants du secondaire inférieur). La situation actuelle au minimum de la plage a été décidée pour compenser l’instauration de 2 périodes de travail collaboratif pour tous les enseignants de l’enseignement secondaire. Signalons que les enseignants dans le maternel sont tenus de prester 26 périodes (24 périodes dans le cas de l’enseignement primaire). Mais le plus important c’est que cette opinion rappelle, exemples concrets et convaincants à l’appui, que le travail d’un enseignant ne s’arrête évidemment pas au travail en classe.
Voici ce que dit l’Avis n°3 du groupe central du Pacte pour un enseignement d’excellence de 2017, p.179 : « Tout enseignant, responsable d’enseignement dans une classe ou d’une ou plusieurs disciplines dans des classes devrait assumer cinq fonctions qui sont constitutives de sa charge : La première est le travail en classe qui, à lui seul, devrait dans la plupart des cas occuper un peu plus de la moitié du temps de travail des enseignants. L’autre partie du temps de travail devrait être occupée, selon une répartition relativement équilibrée mais adaptée aux différents paramètres évoqués ci-dessous, par les quatre fonctions suivantes (ici non hiérarchisées) : Le service à l’école et aux élèves : conseils de classe, délibérations, réunions de parents, activités parascolaires à définir, surveillances, suivis individuels d’élèves. La participation à des conseils de classe et à des réunions de parents même en dehors des heures de cours, ainsi que des surveillances et des remplacements éventuels, sont organisés selon des modalités concertées annuellement au sein de l’organe de concertation locale. Le travail collaboratif : réunions d’équipe pédagogique, réunions de l’équipe éducative, travail avec les collègues, participation aux organes de décision dans le cadre d’un leadership partagé, coaching d’enseignants débutants. Le travail autonome : préparation des cours et des examens, corrections. La formation continuée : il s’agit également d’inscrire formellement la formation continuée dans le temps de travail normal d’un enseignant, même si elle s’organise selon une temporalité moins régulière, plus intermittente. »
Tout cela est bien accepté et intégré, en Communauté française comme en Communauté flamande. Si on prend comme référence ce qui se passe en Flandre – un enseignant du secondaire travaillerait plus ou moins 46 heures semaine (pas de différence majeure entre les niveaux d’enseignement dans le secondaire) et 17 heures en moyenne pendant les congés – on obtient un temps de travail total de plus de 1.900 heures de travail sur l’année, surtout si on doit y ajouter 1(1) ou 2 périodes semaine, soit plus qu’un travailleur autre prestant 38 heures semaine et bénéficiant de 4 semaines de congés, à savoir 1.824 heures (2). Le calcul sur toute la durée de vie professionnelle réduirait l’écart pour tous ceux qui bénéficient d’une DPPR (Disponibilité Précédant la Pension de Retraite). Ces données concernent la Flandre en 2018. Des données plus récentes pour les enseignants du secondaire inférieur à temps plein donnent une charge de travail – tout compris – en Communauté flamande de l’ordre de 40 heures semaine (de cours) et de 34 heures en Fédération. Ce sont les réponses données par les enseignants eux-mêmes. L’OCDE rappelle que ces estimations doivent être considérées avec prudence. Et, rappelons le aussi avec force, ce sont des moyennes. En tout état de cause il serait plus que bienvenu de faire une recherche approfondie en Fédération. Il est évident que départager le travail des activités de non-travail est compliqué, pour les enseignants comme pour beaucoup d’autres métiers intellectuels (chercheurs, journalistes, cadres…). Même la lecture d’un magazine grand public au cours du WE peut inspirer la réflexion et l’action dans la sphère professionnelle. Et d’autres travailleurs s’investissent dans leur job au-delà des heures réglementées et ce volontairement, par goût du métier. Mais il ne faut pas abuser pour autant. De multiples moyens sont possibles pour réduire la charge des enseignants effective sion estime qu’elle dépasse ce qui est souhaitable ou acceptable.
On commencera par mettre en exergue l’indispensable équité qui doit régner dans chaque établissement entre les enseignant.es, et ce en tenant compte de toutes les activités qu’ils/elles sont supposé.es assumer. Permettez-moi de penser qu’un « juste » partage n’est pas toujours la norme… Les enseignant.es investi.es sont, à juste titre, les premiers à « râler » sur ceux et celles qui le sont moins. À cet égard on ne rappellera jamais assez l’hétérogénéité du monde enseignant, entre écoles, filières et au sein de chaque école. Par exemple, un enseignant en français a, c’est une évidence, une charge de corrections/évaluations plus lourde que d’autres. Évitons donc toutes les généralisations abusives. Le comité d’experts proposait de substituer à la DPPR une fin de carrière aménagée, réduisant ou supprimant le nombre de périodes en classe avec les élèves, pour les remplacer par diverses activités de soutien à la communauté éducative à laquelle appartient l’enseignant avançant en âge : tutorat des enseignants débutants ou en difficulté, accompagnement des élèves dans diverses activités, soutien à l’équipe de direction (innovations pédagogiques, plan de pilotage des écoles, dispositif d’orientation des élèves, formation et évaluation du personnel, lien avec des acteurs extérieurs tels que secteur culturel, entreprises…)… Il importe aussi, d’une manière générale, de réduire la charge administrative. Ceci était autrement émancipateur et bénéfique pour les enseignants autres que les âgés que le maintien d’un DPPR dont on sait par ailleurs qu’elle sera réduite dans sa durée maximale possible au vu des décisions fédérales présentes et à venir. Plus de culture dans l’école ou à l’extérieur permettrait de réduire les heures de cours « classiques ». Il faut donc qu’une partie plus grande qu’aujourd’hui des budgets culture soit orientée vers la culture – sous toutes ses formes – au service des élèves, idéalement pendant le temps de présence à l’école. La récente étude TALIS (enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage) organisée par l’OCDE a montré que les enseignants du secondaire inférieur en Communauté française étaient assez frileux dans l’usage de l’intelligence artificielle (IA) : 23,1 % l’utilisent pour divers objectifs (plans de cours, production de textes…) contre un peu moins de 40 % en Communauté flamande. La moyenne en Europe est de 32,6 % et de 41,3 % pour tous les pays interrogés. Bien sûr que l’usage de l’IA pose de nombreuses questions éthiques, pédagogiques, techniques, etc. Mais elle a un potentiel énorme à l’école, tant pour l’enseignant que pour l’élève : préparation et actualisation des cours, apprentissages individualisés…, voire une aideà l’évaluation. Il n’y a aucun problème à être plus efficient, voire plus efficace, en recourant à ces outils. Les dispositifs pédagogiques qui y recourent et d’autres permettraient aussi d’occuper utilement les jeunes dont des cours tombent suite à l’absence de l’enseignant. Indépendamment des outils IA, il est utile également d’encourager les enseignants à ne pas exercer leur métier en solitaire mais à veiller à généraliser/approfondir une culture où la préparation collective des cours, la réflexion commune sur les pratiques pédagogiques et le mentorat entre collègues sont la règle.
Enfin, la charge mentale aussi est très variable d’un enseignant à l’autre, d’une activité à l’autre. Elle peut être allégée par la multiplication des dispositifs pédagogiques et la mise en place d’autres organisations scolaires (pourquoi, par exemple, ceux qui enseignent les sciences ne pourraient-ils pas se spécialiser dans certaines matières – qu’ils préfèrent et maîtrisent mieux – plutôt que d’être affectés à certaines classes ?). Mais le plus important est de construire ou de renforcer de véritables communautés éducatives, aux organisations agiles, où chaque enseignant se sent co-responsable de l’ensemble de l’école et du devenir des élèves et où la direction garantit une répartition équitable des investissements des uns et des autres. Cela passe notamment par une plus grande autonomie des écoles et une plus grande présence effective sur le terrain.
Merci d’y contribuer avec d’autres. Notes : (1) Dans le deuxième degré en Flandre, la charge est de 21 périodes semaine. (2) Il faut dans les deux cas tenir compte des jours fériés.

