Les cours de natation sont pourtant obligatoires de la 1re primaire à la 3e secondaire. Mais de nombreuses écoles font l’impasse, notamment raison de la pénurie de piscines publiques.
Durant la semaine écoulée, deux accidents aux issues dramatiques se sont produits dans des cours d’eau de Belgique. Le premier aux lacs de l’Eau d’Heure, quand un ado de 17 ans s’est noyé en tentant de récupérer un ballon tombé à hauteur du barrage de la Plate Taille, à Froidchapelle. Le second à Bruxelles, avec la noyade d’un individu tombé dans le canal à la suite d’une altercation.
Des drames qui rappellent que l’eau peut-être très dangereuse. En sites naturels (mer, rivières,…) comme en bassins artificiels (piscines, étangs,…). Chaque année, la Belgique déplore une septantaine de noyades mortelles. Dont une partie aurait pu être évitée si les victimes avaient appris à nager. C’est pourtant une obligation imposée par la Fédération Wallonie-Bruxelles aux établissements scolaires de Wallonie et Bruxelles, jusqu’en 3e secondaire. “Une obligation théorique, tempère Alexis Rondeau, coordinateur pédagogique de la ligue francophone belge de sauvetage (LFBS). Car dans la pratique, de nombreuses écoles ne parviennent plus à assumer ce rôle. Notamment car elles sont trop éloignées géographiquement des piscines ou que ces dernières sont saturées. Elles ont donc parfois de grandes difficultés à pouvoir proposer en pratique ce service. ”
Selon un décompte officieux, on recenserait une septantaine de piscines publiques à tous en Wallonie, pour une quinzaine à Bruxelles. Des chiffres en baisse alors que, dans le même temps, la population scolaire a progressé : on tourne autour des 900.000 élèves, dont 530.000 de 1re primaire à la 3e secondaire. On se retrouverait avec une piscine publique pour 6200 élèves concernés par l’obligation scolaire. En ajoutant la soixantaine de bassins présents sur les sites scolaires et en comptant large, on arriverait à une piscine pour 3.500 élèves. Trop peu pour permettre à tous les élèves de suivre des cours de natation.
“Mes filles n’ont plus eu de cours de natation depuis 7 ans”
Avec des conséquences dommageables pour de nombreux enfants. À Perwez, les ados de Jean-Claude, 14 et 17 ans, n’ont ainsi plus eu cours de natation depuis l’avant-covid. Soit depuis 7 ans. “Lorsqu’elles étaient en primaire, elles allaient à la piscine de Gembloux, commente le Perwézien. Mais la piscine a fermé. Et elles ne sont plus jamais allées à la piscine, avec l’école, depuis qu’elles sont en secondaire. De notre côté, nous avions pris des cours privés dès leur plus jeune âge mais je conçois que, pour les familles plus précarisées, il n’est pas forcément possible financièrement de prendre des leçons privées.”
L’école de la Providence, à Jodoigne, est notamment concernée par cette impossibilité de proposer des cours de natation. Pas par manque d’envie mais par manque de bassins. L’école se rendait auparavant à la piscine de Jodoigne. Mais, vieille d’un demi-siècle, obsolète et trop coûteuse à rénover, elle a été fermée en 2022 sur décision politique. Le collège communal a préféré opter pour un nouveau projet, plus adapté aux besoins des nageurs, sur le site du nouveau centre sportif. “Le cours de natation a dès lors été supprimé pendant la fermeture de la piscine”, commente le Benoît Laminne, le directeur de l’Institut de la Providence, à Jodoigne. Nous reprendrons les cours dans le courant du mois d’octobre (NDLR : le bassin devrait rouvrir fin septembre).”
À Perwez, l’école Jean-Paul II a eu les mêmes problèmes logistiques. “Dans le temps, on proposait effectivement le cours de piscine, commente la direction. Mais pour 20 minutes de temps dans l’eau, il nous fallait deux heures à bloquer. Il fallait aussi beaucoup d’encadrants (profs, animateurs, parents,…) et cela représentait aussi un coût pour l’école car louer un car coûte une fortune.”
Et puis, les trois piscines à proximité géographique de l’école (Gembloux, Salzinnes et Jodoigne) ont fermé coup sur coup, sonnant le glas des cours de natation proposés par l’établissement scolaire. “On a effectivement décidé de ne plus proposer ces cours de natation car cela demandait trop d’organisation et que ça devenait hors de prix de se rendre à la piscine.”
Dernièrement, le collectif de citoyens Salzinnes Demain a aussi dénoncé au conseil communal de Namur l’impact de la fermeture du bassin local pour les écoles. Dont une petite dizaine se voyait ainsi dans l’impossibilité de répondre positivement à l’obligation scolaire d’apprendre à nager.
“Il n’y a pas assez de piscines publiques”
Contacté, le président de la fédération francophone belge de natation (FFBN), Bernard Parez, estime que cela peut avoir des conséquences catastrophiques pour les enfants. S’il ne veut aucunement rendre les écoles responsables de la situation parce qu’elles font “avec les moyens du bord”, il craint surtout de voir arriver “une génération d’enfants, d’ados et d’adultes qui ne savent pas nager.”
Le constat est simple : “Il n’y a pas assez de piscines publiques. Les écoles se pressent dans celles disponibles mais il n’y a pas de place pour tout le monde. Et pour certaines, bloquer une matinée pour seulement 20 minutes dans l’eau, ce n’est pas tenable. Ces dernières années, on a fermé un certain nombre de piscines. Il y a bien eu le plan Piscines (NDLR : destiné à rénover les structures existantes avec l’appui de subsides wallons) qui a permis de sauver certaines piscines. Mais on n’en a pas construit beaucoup. Résultat : on a moins de piscines pour plus de nageurs. Et si les communes ne reçoivent pas l’appui de la Région pour en construire et assumer le coût de fonctionnement, elles ne le feront pas. Car une piscine publique n’est jamais rentable.”
Les parents doivent se tourner vers les clubs
Les parents doivent donc se tourner vers les clubs. Mais tous n’ont pas les moyens de payer 200 € ou 300 € par an. Parfois plus. “Pourtant, apprendre à son enfant à nager, ce n’est pas jeter l’argent par la fenêtre, c’est lui sauver la vie, commente Bernard Parez. Car en vacances, au camping ou à la mer, il suffit de quelques secondes pour qu’un drame se joue. Le coût ne doit pas être un frein. Car un malheur est très vite arrivé.”
À la ligue francophone belge de sauvetage, Alexis Rondeau, confirme. “Savoir nager, c’est une compétence de base, indique-t-il. Il est essentiel qu’un enfant puisse acquérir des comportements sécurisés aux abords d’un milieu aquatique. Et à apprendre à se mettre en sécurité s’il tombe à l’eau : en se mettant à flotter sur le dos et parvenir à rejoindre le bord de la piscine, par exemple. Malheureusement, on se retrouve soit avec des écoles qui ont des difficultés à maintenir ces cours de natation en raison de leur budget, soit avec des écoles qui sont confrontées à un manque criant de piscines dans leur région.”
À terme, cela signifie qu’on risque de voir de plus en plus d’ados qui ne savent pas nager. “Or, avec les canicules qui vont être de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes, la tentation d’aller se baigner dans une zone qui n’est pas prévue pour cela va être de plus en plus grande, surtout chez les jeunes. Au-delà des dangers que représentent ces zones non prévues à la baignade, ça peut être dramatique, avec des jeunes qui n’ont pas les bons réflexes, qui ne savent pas bien nager et qui se retrouveront en difficulté dans l’eau.”